Pancho a peur*. Comme à chaque fois qu’il nous voit faire nos valises, il n’est plus tranquille. Inquiet, interrogatif, il nous suit partout fiévreusement, épouvanté à l’idée qu’on parte sans lui. Il faut dire pour sa défense que c’est déjà arrivé. Malgré son âge avancé, il a donc encore une bonne mémoire, ce qui est bon signe.
Oui, je peux confesser ici qu’il est déjà arrivé qu’on l’oublie à la maison. On s’en rendait généralement compte lors d’un arrêt sur une aire d’autoroute lorsqu’on voulait le sortir pour ses besoins naturels.
– Où est le chien ? On l’a oublié ? Bah, au fond, tant mieux.
Et même dans l’autre sens, il est également arrivé qu’on l’oublie dans le coffre de notre voiture, une fois rentrés. Pas longtemps, heureusement, jamais plus de deux ou trois jours. Vous pouvez raccrocher votre appel, il en faut plus pour émouvoir les permanents de la SPA.

Pancho n’éprouve pas une peur panique comme lors de ses visites chez le vétérinaire, mais il est très angoissé de nos préparatifs. Parce qu’il ne s’agit pas cette fois de boucler des valises, mais bien de vider entièrement la maison et de la mettre en cartons. Lesquels s’empilent progressivement les uns sur les autres. Actuellement, on attaque le quatrième étage cartonné, qui commence d’ailleurs à surplomber le panier du chien. C’est peut-être pour ça qu’il a peur. Un carton de 25kg rempli de livres qui tombe sur un chien de 5kg, le combat est déséquilibré.

Bref, tout ceci pour vous amener à comprendre pourquoi notre chien est sévèrement angoissé depuis quelques jours. Il tourne en rond, fébrilement, et finit généralement par se coucher dans un carton, souhaitant qu’on le referme et qu’on le place en haut de la pile pour le prendre avec nous. Il doit se dire qu’il vaut mieux tomber du haut de la pile, plutôt que d’attendre en bas.

Alors hier, pour le soulager de son angoisse, j’ai fait la seule chose à faire dans ces cas-là : j’ai tué le chien. Pour abréger ses souffrances. Un coup de hache, tchac ! J’avais déjà vu faire le boucher avec les poulets. Je sais, c’est barbare, mais on n’a jamais eu de carabine, et on habite trop loin de la rivière. De toutes façons, il n’aurait pas pu s’habituer à notre nouvelle maison, il se serait ennuyé, aurait déprimé. En plus, il était sourd, édenté, arthritique et aveugle à moitié…
Bon, c’est une blague, hein. Ca va pas ? Non, j’ai fait ce qu’on fait généralement aux humains en pareil cas : je lui ai parlé longuement, en lui tenant la patte. Il a semblé apprécier mon effort de communication en dépit de sa surdité. Il a même remué un peu la queue. Puis, je lui ai proposé d’aller voir un psy, mais il a refusé catégoriquement. J’ai cherché sur Google « comment convaincre un chien d’aller voir un psy », mais n’ai rien trouvé de probant.
Alors, je lui ai donné un Xanax. Il l’a avalé direct. Pendant dix minutes, ce traitement n’a semblé avoir aucun effet sur lui. Puis, il s’est mis à tituber comme si je lui avais fait avaler une bouteille de rosé. Ou plutôt une bouteille de Whisky, parce que j’avais déjà essayé le rosé avec Pancho, et il faut reconnaître que ce chien tient bien l’alcool. Et pourtant, un litre de rosé dans cinq kilos de chien, ça doit faire un bon taux d’alcoolémie. Mais bon, tout cela n’est pas très grave dans la mesure où Pancho ne conduit plus, eu égard à son grand âge et sa quasi cécité.
Pancho a donc commencé à tituber, il a toutefois réussi à retourner dans son panier après un effort incommensurable. Et depuis hier il dort, paisiblement, sans interruption, depuis déjà plus de vingt heures. Il a juste gardé un oeil ouvert, dans lequel je lis une immense gratitude. Au moins, il est zen. Plus que quelques jours, et on pourra l’ajouter dans le dernier carton, avec sa laisse, et ses croquettes. Oui, car c’est pratique le Xanax, même à proximité de son sac de croquettes, il n’essaiera pas de les grignoter, et encore moins de croquer du déménageur.

Note : Aucun animal n’aura été blessé au cours de cette expérience littéraire.
Pour la posologie du Xanax, demandez conseil à votre vétérinaire.

* (c) Roger Gicquel