Ces objets qui vous parlent

Le 10 juillet 2020

Premier billet post-translation. On est encore dans les cartons, mais plus au sud. J’ai déballé le PC, le routeur 4G, de quoi vous donner quelques nouvelles. En tâche de fond, la pression de la newsletter hebdomadaire qui est expédiée automatiquement tous les vendredis après-midi, et qui, n’ayant aucun contenu à utiliser cette semaine, pourrait bien vous parvenir stupidement vide.

C’est à ça que je pensais en disposant Igor et Grichka sur le parquet de mon nouveau bureau. Igor et Grichka sont les noms que j’ai donnés à deux tréteaux jumeaux, sur lesquels repose une planche laquée noire en mélaminé d’un mètre trente pour la moitié de large, qui elle-même soutient le clavier qui accueille mes doigts en train de frapper ce billet.

Igor et Grichka sont deux vieux compagnons. On se connait bien. Nous sommes des amis de trente ans, depuis leur adoption en 1990 pour meubler mon studio d’étudiant en informatique, dans un obscur immeuble vétuste qui avait été autrefois, disait-on, la mairie du Puy-en-Velay. Les deux tréteaux et leur plateau assorti avaient été achetés par mes parents pour 99 francs de l’époque – quinze euros. Nous avions ensuite migré sur un linoléum de Limoges très pittoresque car planqué au-dessus d’un bar turc vibrant joyeusement mais bruyamment à chaque soirée de match de Galatasaray. Ca c’était juste après une petite pause sur la dalle du garage parental le temps des vacances d’été. Puis une nouvelle étape à Neussargues sur la moquette de ma chambre, où est née l’ETAJV pendant mon service militaire, avant de rejoindre Aurillac dans un studio rénové de la Place d’Aurinques pour les débuts de jeuxvideo.com, juste au-dessus de ce qui est devenu aujourd’hui la Crêperie d’Alexandre. Et puis un nouveau déménagement dans un appartement du quartier de Marmiers, puis encore un appartement de célibataire avenue Aristide Briand, et ensuite le parquet d’une maison rue Pablo Neruda, puis enfin le carrelage de Toulousette que j’occupais encore en début de cette semaine. J’ai bien conscience de l’inintérêt évident de cet égrenage de lieux d’habitation, mais vous oubliez que j’ai un billet à remplir pour la newsletter de tout à l’heure.

Ah ! Si Igor et Grichka pouvaient parler, ils pourraient en raconter des histoires. Trente ans de vie commune, vous imaginez ? J’avais 16 ans, j’en ai 46. Entre les deux, ils ont été les témoins des joies, des peines, des rencontres, de la famille, des amis, des projets.
Et puis ils ont soutenu mes ordinateurs successifs bien sûr. Il y avait d’abord eu la tour de vingt kilos qui avait failli faire plier Igor en 1992 et qui hébergeait un vaillant microprocesseur 486DX33 avec 4 Mo de mémoire, un disque dur de 120 Mo pour faire tourner le dernier système d’exploitation d’alors, le MS-DOS 5.0 et Windows 3.1… A sa place, on peut voir aujourd’hui un discret Zotac qui abrite je ne sais plus quelle technologie, mais qui « fait le job » – Merci Bruno de LDLC Aubière si tu passes par ici.
Des centaines, que-dis-je, des milliers d’heures passées entre Igor et Grichka. Si l’on compte deux heures par jour pendant 30 ans, on obtient le vertigineux total de plus de vingt-mille heures, ce qui est probablement très en deçà de la réalité.

J’ai souvent songé à m’embourgeoiser, c’est à dire à remplacer les deux tréteaux jumeaux, et la planche qui va avec. A chaque déménagement en fait. Je pensais qu’un petit bureau IKEA me permettrait d’avoir une meilleure solidité et sous la main quelques tiroirs pratiques. A chaque fois pourtant, j’y ai renoncé. Mais pour garder en tête cette belle idée, j’ai décidé de baptiser la planche « Greta », en hommage à la militante extrémiste de même nationalité que le bureau scandinave logoté jaune et bleu que j’aurais pu avoir.
Je me suis attaché à mon maigre bureau comme Daniel Pennac à sa petite cabane au fond du jardin de ses vacances qu’il décrit dans son dernier roman La Loi du Rêveur. Il aime s’y retirer pour écrire. Elle est trouée, elle ferme mal, est ouverte aux vents, mais elle a une histoire. Mon bureau aussi a une histoire, il est imparfait, trop léger et fragile, mais il vit avec moi. Peut-être une fois arrivé à un âge avancé où l’on se préoccupe de telles choses, j’écrirai sur mon testament que je souhaite être enterré avec Igor et Grichka comme Bob Marley avec sa Gibson rouge et sa marijuana.

Commentaires

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  1. Romain B

    le 15 juillet 2020

    Salut Sébastien ! Un petit moment qu’on a pas discuté ! Courage à toi et toute la famille pour finir ton déménagement ! Je sais pas pourquoi mais je ressent maintenant le besoin de voir ce fameux bureau – tu nous offrirais pas une petite photo si possible 🙂 ?

  2. lightman

    le 15 juillet 2020

    Ah pour la photo du bureau, je vais attendre d’avoir rangé tout le bazar, c’est à dire la quinzaine de cartons plus ou moins déballés qui l’encombrent actuellement.
    En attendant, merci de tes encouragements, chaque jour qui passe permet d’avancer un peu vers un retour à une vie à peu près normale et stable.