La redécouverte du terrier d'Apchon, en Haute Auvergne
Ca a commencé par la lecture de La Maison de Graule. C’est une étude publiée en 1888, par Adolphe de Rochemonteix, sur une grange fromagère, fondée sur un plateau de Haute-Auvergne, entre les villages de Cheylade et Dienne (carte), suite à une donation de vastes terres du seigneur de Dienne à l’abbaye d’Aubazine, au XIIe siècle.
Les moines cisterciens ont d’abord fait construire des bâtiments permettant d’exploiter ces terres. Puis, après des destructions et pillages des anglais, ils ont préféré louer ces terres à des exploitants locaux. A la fin du livre de Rochemonteix, on découvre que des fragments de lièves de cens dû à l’abbé d’Aubazine sont parvenus jusqu’à nous. Dans les transcriptions de ces documents fiscaux et fonciers, nous trouvons toute une série de familles locales, des « tenanciers » ou « herbassiers », avec la description de la terre, la superficie exprimée en têtes d’herbage, et la somme perçue par le seigneur abbé. Et parmi les propriétaires, certains noms sont accolés au qualificatif « trompette ». Une liève de 1584, en particulier, m’a permis de compléter le CV de quelques trompettes du roi natifs des environs (patronymes Chancel, Dumont, Gandilhon, Pissevin/Pissavy, et Salsac).
Encouragé par ces trouvailles, j’ai tenté de trouver d’autres lièves, qui sont des sortes de bordereaux de paiement du cens, la taxe fixe que le possesseur d’une terre payait au seigneur. J’ai aussi cherché des terriers, ces registres qui listaient tous les possesseurs de terres d’une seigneurie, et à partir desquels les lièves étaient établies.
Grâce à Google Livres (formidable outil pour rechercher dans de vieux bouquins, souvent propriété d’universités américaines, que Google a numérisés), je trouve tout d’abord deux mentions intéressantes :
1) Dans l’un des tomes de l’Histoire de la Maison de Chabannes, (toute fin XIXe), l’auteur cite comme source : le terrier d’Apchon de 1512, propriété de M. Lescure, notaire à Mauriac.
2) Dans les notes manuscrites du Dictionnaire topographique du Cantal (1897), on trouve cette source confirmant la précédente : Terrier d’Apchon de 1512 à 1543, avec table de 1719. Étude de M’ Lescure, notaire à Salers.
On sait donc qu’il existe bien un terrier d’Apchon qui a été conservé au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle. Dans l’euphorie de la découverte, j’envoie un message à André Metzger, généalogiste aguerri, membre actif de l’association Aprogemere, et fin spécialiste des sources dans les paroisses de Marchastel, Apchon, Cheylade, Saint-Hippolyte et Riom-es-Montagnes. Il est formel, ce terrier lui est inconnu.
Je commence à me dire qu’il faudrait identifier ce notaire Lescure, savoir s’il était à Mauriac ou à Salers, et appeler l’étude de ses successeurs afin de voir s’ils ont conservé ce document unique.
C’est là qu’après avoir torturé un peu plus Google, je tombe sur cette référence du catalogue Archives et Manuscrits de la BNF :
D’après la description, il s’agit d’une copie datée du XVIIe siècle d’un terrier de la seigneurie d’Apchon établi au XVIe siècle, en latin, sur 992 feuillets, soit près de 2000 pages !
Quelques jours plus tard, l’ami André se rend sur place pour consulter l’ouvrage, dans la magnifique salle Richelieu de la BNF, à Paris. On a réservé pour lui, sur sa demande préalable, cet impressionnant registre, magnifique grimoire quasi médiéval :
Pendant plusieurs heures, il capture numériquement chaque page de ce manuscrit, qui est lui-même l’une des seules photographies de la seigneurie d’Apchon, il y a exactement un demi-millénaire. Vertigineux. Le registre lui-même a seulement – si l’on peut dire – 354 ans d’existence ; il est en parfait état de conservation et très lisible, si l’on excepte la barrière de la langue latine.
Au cours des mois qui suivent, André Metzger va réaliser un travail considérable qui consiste à étudier le terrier dans son intégralité afin de relever tous les noms, dates, lieux, propriétés, redevances, afin de le rendre facilement utilisable par tout généalogiste. Pour parfaire les traductions, il est aidé de Monique de la Rocque, remarquable lectrice d’écritures anciennes, y compris en latin.
Depuis quelques jours, leur travail est achevé. Et le terrier d’Apchon est désormais facilement accessible pour tout généalogiste, sur le site de l’association Aprogemere :
https://www.aprogemere.fr/lieux/liste-des-communes/details/23/12
Pour ce qui me concerne, j’ai pu, grâce à André, découvrir une quinzaine de « tubicinatores » (trompettes) dans ce terrier d’Apchon. Les patronymes rencontrés sont : Albot, Bertrand, Chancel, Cheyrier, Dumont, Goutz, Janzac, Marone, Mauret, Rivet, Salsac. Une quinzaine d’individus dont la profession est de sonner de la trompette, pour la seule seigneurie d’Apchon au début du XVIe siècle, c’est un effectif assez considérable au regard de la population. Ce n’est pas non plus une surprise totale, dans la mesure où dans une relation de l’entrée de François Ier à Clermont en 1537, on avait remarqué que 11 trompettes d’Apchon avaient participé aux cérémonies.
On peut imaginer que le seigneur d’Apchon employait des trompettes, une marque de prestige à cette époque où la seigneurie d’Apchon était encore l’une des plus puissantes de toute l’Auvergne. Les meilleurs trompettes d’Apchon parvenaient à accéder à la grande écurie du roi et servir sa majesté dans ses déplacements, et lors des cérémonies royales
Le fait que les trompettes soient identifiés dans le terrier, qui ne cite pourtant pas systématiquement les professions, montre sans doute l’importance de cette fonction au sein de la seigneurie.
Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous cet extrait :
Grâce à cette page du terrier d’Apchon, j’ai pu rattacher à l’un des protagonistes, le plus vieux trompette du roi natif du lieu que j’avais identifié jusqu’à présent :
Guillaume Janzac, trompette qui a accompagné le roi Charles VIII dans la campagne d’Italie, selon un acte de 1494. Il était, dit-on, au service de Jacques de Miolans, conseiller et chambellan du roi, capitaine des cent gentilshommes ordinaires de la maison du roi. Guillaume Janzac sonnait-il sur le champ de bataille ? Je le crois.
On retrouve Guillaume Janzac parmi les six trompettes du roi présents au obsèques de Louis XII en 1515. Plus tard, un acte signé de François Ier, récompense Guillaume Janzac pour l’ensemble de ses services, y compris pour la bataille de Marignan, citée explicitement.
Par cette page 746 du terrier d’Apchon, nous savons désormais que Guillaume Janzac n’était pas le tout premier trompette du roi de la seigneurie d’Apchon, puisqu’il avait été précédé par son père Durand Janzac. Ce dernier n’a pas laissé de trace parmi les archives de l’écurie du roi. Peut-être était-il simplement trompette d’Apchon.
Rien ne permet de dire si d’autres trompettes ont précédé Durand Janzac à Apchon. En tous cas rien pour l’instant. Les recherches continuent. D’autres sources un peu oubliées semblent encore à redécouvrir.
Merci à beaucoup à André Metzger, pour les photos, et surtout le travail de bénédictin sans lequel je n’aurais pas pu tirer toute la substantifique moëlle de ce terrier. Merci à Monique de la Rocque. Merci à toutes les passionnés, érudits, généalogistes, historiens qui suivent mes travaux, m’aident ou me conseillent. Merci enfin à tous les membres d’Aprogemere ; c’est un plaisir de faire partie de l’une des associations généalogiques les plus dynamiques de France (plus de 800 adhérents).
Jean-Yves Brunon
le 10 février 2023Superbe travail. Merci Sébastien !
lightman
le 11 février 2023Merci de ces encouragements !