Les phobiques, les téméraires, et nous

Le 26 mai 2020

Les français ne réagissent pas de façon homogène à cette crise sanitaire en voie d’apaisement. On ne l’avait pas forcément remarqué pendant le confinement, mais cette différence d’appréhension du covid est visible de façon éclatante depuis le 11 mai dernier.

« Business as usual » d’un côté, les téméraires ont repris une vie complètement normale depuis le 11 mai, mais éprouvent en plus le besoin de compenser l’isolement dont ils ont été victimes depuis le début du printemps. Ils participent donc à de grandes réunions familiales, organisent de pantagruéliques dîners entre amis, et donnent de grandes fêtes pour célébrer la fin du confinement. lls font désormais leurs courses comme avant, en achetant leur baguette quotidienne, parfois sans masque, et attendent avec impatience la réouverture des bars, des spectacles et des événements sportifs.

A l’opposé du spectre, les phobiques, qui ont parfaitement assimilé les injonctions effrayantes du gouvernement. Ils considèrent les autres comme une menace, et continuent un confinement on ne peut plus strict. L’enfermement est devenu leur protection, et ils n’osent quasiment plus sortir de chez eux. Sans doute attendent-ils le vaccin pour être complètement rassurés, mais l’attente risque d’être longue, et son terme très incertain.

Nous, on est un peu entre les deux, on ne sait pas vraiment qui a raison. D’un côté, on a un grand besoin de voir du monde, d’échanger, de rire. Comme on travaille à la maison, on se sent presque aussi seuls que pendant le confinement. Dernièrement, on a quand même brisé certains tabous : on a fait rencontrer à Jade quelques-unes de ses camarades afin de rallumer sur son visage le sourire naturel qui s’était peu à peu envolé à mesure que passaient les semaines d’enfermement – l’impact psychologique, personne n’en parle, mais les cabinets de psy sont plein.
On a participé à un pique-nique familial incluant des mesures de distanciation. « C’était trop bien » nous a dit Jade le soir de retour à la maison. On a remis ça le dimanche suivant tous les trois. Nous sommes allés déjeuner sur l’herbe de la plage de Rénac, au barrage de Saint-Etienne-Cantalès. Il soufflait là-bas un petit air de vacances fort agréable. D’autres familles déjeunaient paisiblement. Des pétanqueurs et des volleyeurs torse-nus, parfois accompagnés de jeunes nymphettes en maillot de bain, incitaient le soleil à redoubler d’ardeur en ce dimanche qui affichait pourtant avec peine une vingtaine de degrés à l’ombre. On a croisé quelques dizaines de marcheurs sur les sentiers autour de la presqu’île – à chaque fois Myriam arrêtait de respirer – on a regardé de jeunes plongeurs exubérants qui assuraient un spectacle réjouissant en s’élançant du haut de la rambarde de la passerelle himalayenne qui permet de rejoindre Espinet. Enfin, une petite touche d’exotisme avec un groupe d’une trentaine de jeunes gens identifiés comme des migrants – peut-être syriens – qui s’amusaient sur une plage tandis qu’un appareil émettait une musique orientale…
Cet après-midi-là à Rénac, nous étions hors du temps, et ça nous a fait du bien. J’ai retrouvé un peu de légèreté, un peu d’insouciance, sans laquelle la vie deviendrait vite un enfer.

Et c’est ça finalement qui devrait nous animer aujourd’hui. Il nous faut à la fois être raisonnables, porter le masque quand c’est indiqué, mais aussi ne pas perdre de vue de vivre nos vies d’humains. Aucun gouvernement ne vous le dira, car ça ne rapporte pas des points de PIB. Mais la vie, ce n’est pas de rester cloîtrer chez soi. Sortir est un risque, mais la vie elle-même est un risque. Jade retourne à l’école la semaine prochaine, nous sommes convaincus que la privation d’interactions sociales avec ses camarades depuis trop longtemps est désormais plus dangereuse pour elle que le risque mesuré d’attraper le covid, d’autant que les enfants en sont à peu près épargnés. Le Professeur Raoult dévoilera d’ailleurs pourquoi dans une vidéo à paraître la semaine prochaine.

Cette réflexion m’incite à vous suggérer la lecture de cette éclairante interview d’André Comte-Sponville pour le journal suisse Le Temps ; le philosophe y donnait, en pleine épidémie, son éclairage sur sa perception de la vie, du risque de maladie et de mort en cette période de confinement. Il encourageait finalement, à faire face, à affronter nos peurs, et à garder en tête notre finitude, donc à accepter de risquer de vivre.

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