La boîte à cacao

Le 19 novembre 2019

Myriam aime tellement les boîtes. Plus guère les boîtes de nuit, question de génération, mais les boîtes véritables au sens de contenant. En particulier celles destinées à accueillir des aliments. Elle fréquentait assidûment les réunions Tupperware. Les animatrices dûment habilitées de la région ne manquaient d’ailleurs pas de l’inviter dans un but intéressé à chacune de leurs nouvelles démonstrations. A la maison, on avait un casserolier entier rempli de boîtes en plastiques de toutes formes : une boîte plate pour le jambon, l’indispensable plateau ventilé pour les fromages, la nécessaire cloche transparente profilée pour le micro-onde, des douzaines de parallélépipèdes de toutes tailles et couleurs, des boîtes avec couvercle, des boîtes sans couvercle, et même des couvercles sans boîte, sans oublier d’improbables boîtes rondes à soufflet, et un étrange entonnoir téléscopique en plastique – oui Madame, ça existe. Chaque nouvelle innovation trouvait sa place dans notre cuisine. A un moment, on avait tellement de boîtes en plastique dérivé du pétrole qu’on avait frôlé le classement « Seveso seuil haut ». Les voisins commençaient légitimement à s’inquiéter d’un incendie chez nous qui aurait déclenché un gigantesque brasier inextinguible émettant au passage un nuage de gaz aussi épais que toxique dans tout le quartier de Belbex, tout en faisant fondre les deux maisons mitoyennes de la nôtre, on habitait alors rue Pablo Neruda. J’imagine le redoutable feu d’artifice que ça aurait pu être, son souvenir se serait transmis de génération en génération, et La Montagne du lendemain aurait titré : « Inquiétude sur le front de l’emploi : Tupperware perd sa meilleure cliente ».

Myriam aime toujours les boîtes, mais elle a divorcé du plastique pour se remarier au verre et au métal. Nous ne manquons toujours pas de contenants, mais sommes désormais ignifugés. Nous pouvons compter sur des boîtes à pâtes, à sel, à laurier, à farine, à sucre, et aussi des récipients à graines de courge, graines de tournesol, pistaches, amandes, et autres cacahuètes et noix de cajou. Sans oublier la boîte à cacao, l’une des plus usitées. Bien sûr, on aurait pu laisser le chocolat en poudre dans son emballage, mais on a préféré le stocker dans ce joli écrin inoxydable signé de l’artiste Valérie Nylin, dont le style graphique, enfantin et coloré, se rapproche de celui de Myriam. Valérie Nylin semble par ailleurs atteinte du même syndrome de boîtophilie que Myriam. Raison de plus.
Un matin où j’étais un peu moins réveillé que d’habitude, la boîte à cacao m’avait échappé des mains, et avait valdingué au sol, répandant son odorant et volatil contenu sur le carrelage, heureusement couleur Chêne foncé. On ne voyait presque pas que la farine cacaotée avait été dispersée sur près d’un mètre carré. En reprenant la boîte en main, je constatai avec horreur qu’elle avait pris un bon coup sur une arrête, créant un petit enfoncement. Discret mais quand même visible. Je reposai la boîte à sa place, et les mois passèrent. Jusqu’à hier où Myriam a découvert sa boîte cabossée, conséquence de mon accident matinal. Déçue, pas contente, agacée. Il faudrait réparer cela.

L’autre jour, on était dans le sud, du côté de Marignane. Une nuit, alors que notre voiture était stationnée dans une rue calme – sans doute trop calme – on nous a forcé le réservoir. On a sans doute eu affaire à une petite frappe, car comme beaucoup de voitures récentes, la C4 est équipée d’un dispositif anti-syphonnage. Le désoeuvré a vainement essayé d’ouvrir le réservoir en faisant levier avec un tournevis, sans autre résultat que de maladroitement vriller la petite porte fermée électriquement. Un vrai fiasco pour lui, et pour moi la nécessité de me rendre ce matin chez le carrossier pour qu’il remette tout en ordre.
C’est là que j’ai eu le flash. En donnant les clés de la C4 au spécialiste en défroissage de tôle, j’ai repensé à ma boîte à cacao cabossée. J’aurais dû l’amener ! Détordre une petite arrête enfoncée, c’est le quotidien du carrossier, il m’aurait fait ça en deux minutes chrono. Dommage.
Au lieu de ça, il ne me reste plus qu’à visionner un tuto sur Youtube. J’ai justement repéré cette vidéo intitulée « Apprendre les bases en carrosserie – Débosseler, méthode traditionnelle« . Quatre minutes à peine, c’est exactement ce qu’il me fallait. Je me forme illico presto, et après je m’attaque à l’oeuvre accidentée de Valérie Nylin.

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