JVBook 19 : à Gardanne

Le 29 mai 2021

Après Aix et Béziers, la troisième étape de mon dépôt de JVBooks m’a conduit à Gardanne. La ville compte un peu plus de vingt mille habitants. Située entre Aix et Marseille, on la repère facilement grâce à la cheminée de sa centrale thermique qui s’élève dans le ciel provençal à près de trois cents mètres de hauteur. L’industrie qui veut se faire aussi grande que la Tour Eiffel. On n’aurait presque pas besoin de GPS, elle est visible à des dizaines de kilomètres à la ronde. En se rapprochant de notre destination, le regard oublie pourtant la centrale, pour se poser en bordure de route sur quelques jeunes femmes, certaines nonchalantes pianotant sur leur smartphone, d’autres plus aguicheuses, toutes court vêtues, et n’attendant pas l’autobus. Elles arpentent le talus en tentant d’entraîner quelques automobilistes dans les fourrés voisins. Un type bedonnant en sort, tâchant maladroitement de remettre sa ceinture tout en hâtant le pas vers son véhicule, tandis que la fille reprend sa place sur le bas-côté. Sordide.

En arrivant aux portes de la ville, on est frappé par le gigantisme d’une usine d’alumine aux portes de laquelle sont plantées les premières habitations. Cette usine chimique est entièrement rouge. Un rouge joyeux et communicatif. Les murs alentours sont rouges, les trottoirs sont rouges, les statues sont rouges. Ce quartier vit dans un monde monochrome qu’on croirait issu d’une bande dessinée, et qui n’est pas sans rappeler le magnifique village corrézien de Collonges-la-rouge. Sauf qu’ici le rouge peut éventuellement emprunter vos voies nasales… Est-ce qu’en habitant là, les humains deviennent rouge ? C’est une explication plausible si l’on observe les résultats des élections municipales, favorables au maire communiste depuis 42 ans.

C’est jour de marché, le Cours de la République est animé. Je repère vite l’hôtel de ville à proximité, ainsi que la boîte à livres qui y est accolée. Elle est archi-pleine, la porte ne ferme d’ailleurs plus, ça déborde. Ce n’est pas un gage de qualité, mais au moins aura-t-on le choix. Je regarde les titres des ouvrages et je repère déjà quelques pépites, selon une densité étonnante. Pas de doute, cette boîte est régulièrement approvisionnée, pas seulement par des passants. Peut-être l’oeuvre d’un bibliothécaire municipal ? J’hésite entre trois titres, pour réaliser mon échange : Quinze Ans de Philippe Labro ; L’Exposition Coloniale d’Erik Orsenna (Goncourt 1998) ; mais finalement, je choisis Premier Amour, une nouvelle autobiographique du romancier russe du XIXème Ivan Tourgueniev. C’est la première page qui m’a convaincu, elle relate une conversation entre trois hommes qui, à l’issue d’une soirée, se retrouvent seuls et s’accordent pour se raconter leur premier amour. Prometteur.

La petite cité est agréable, les places ont été probablement refaites dans la dernière décennie, et sont ombragées. Ici on n’a pas renoncé aux platanes. Même s’il faut ramasser les feuilles en automne, et même si c’est une ligne dans le budget de la ville. Trop de souvenirs me reviennent en mémoire de places, de rues, dont on a détruit la végétation pour la remplacer par du granit, ou parfois même par un infâme goudron maronnasse, parce que vous comprenez, c’est moins cher. Ici, on n’a pas renoncé à un minimum d’esthétique, comme en témoignent les motifs blancs éparpillés sur le sol, qui sont de loin comme de gros flocons de neige éternelle. Ici plus qu’ailleurs, on a fait des efforts d’embellissement, sans doute pour contrebalancer la laideur des sites industriels attenants. Au final, il semblerait que Gardanne vaille beaucoup mieux que la réputation qu’on lui prête parfois.

Ma mission étant accomplie, nous sommes allés nous restaurer dans une auberge voisine. L’ambiance était enjouée. Quand j’ai fait mon coming out auvergnat, la serveuse a fini par avouer à son tour être une aveyronnaise expatriée de Rodez, ce qui m’a permis de vérifier que vraiment, ces aveyronnais sont partout ! Notez qu’elle était aveyronnaise, mais pourtant très jolie ! (joke).

A côté de nous, deux maçons sympathiques qui s’accordaient quelques instants de répit avant de retourner à la tâche. Ils célébraient gaiement leur « premier resto de l’année ». « Cet aprem’, on démolit. Heureusement, car je sais pas si on aurait pu monter un mur droit ! » (rire général). L’un des deux, le plus loquace, est marseillais et supporter de l’OM : « Je suis abonné ! Le sang qui coule dans mes veines, il est bleu et blanc ! Mais de ne plus pouvoir aller au stade, ça nous manque ! ». A ces mots, un serveur accourt aussitôt : – Moi aussi je suis abonné, oh que oui ça nous manque ! Vous êtes où ? – Virage nord – Moi virage sud – Bah on se parle d’un virage à l’autre quand on crie « Aux AAAArrrrmeuuu »…

J’aurais enfin rencontré un marseillais avec un véritable accent certifié Pagnol, on aurait dit César dans son bar de la marine. Ca nous a beaucoup amusés, et ça fait du bien. On devrait protéger cet accent marseillais et les expressions fleuries qui vont avec, ça se perd. Peut-être faudrait-il créer une réserve, ou demander un classement au patrimoine mondial de l’UNESCO.