Par-dessus le marché
« Par-dessus le marché », voilà une expression qui sent le XIXème siècle. Plus guère utilisée de nos jours, ma fille la répète pourtant inlassablement. La faute à sa grand-mère qui, un jour de grève de routiers sur le Larzac a répondu vertement en utilisant ces mots, à l’adresse de ceux qui la bloquaient sur l’autoroute brûlante depuis plus d’une heure. La petite était dans le siège auto, la colère de sa mamie l’a amusée, elle l’a enregistrée dans son cerveau-magnétophone ; et comme ça nous fait rire, elle a pris l’habitude de la déclamer.
Je ne sais pas d’où vient cette expression. Dans la famille, outre ma mère, je crois bien ne l’avoir entendu prononcée que dans la bouche de ma grand-mère maternelle, et toujours de façon un peu théâtrale et pour terminer une phrase, un peu comme on dit « peuchère » à Marseille.
Ma défunte aïeule était originaire de nord-Lozère. Mais il semblerait qu’il n’y ait pas là de spécificité régionale.
Aujourd’hui, on l’emploie rarement, et presque toujours à l’oral. J’ai pourtant été surpris de la voir apparaître plusieurs fois dans La Promesse de l’Aube de Romain Gary, qui est en ce moment mon livre de chevet – selon l’expression consacrée, même si je ne lis plus guère au lit.
On la trouve exactement huit fois. Si je peux être catégorique sur le nombre d’occurrences, c’est que j’ai déniché sur un site « underground » – comme disent les geeks – une version digitale. Gary utilise « par-dessus le marché » la plupart du temps à la fin d’une énumération, et pour renforcer un effet comique à venir. Je remarque qu’une fois sur les huit, elle est écrite sans trait d’union, sans doute une incohérence du correcteur de Gallimard plus qu’une volonté de l’auteur.
Un extrait savoureux (chapitre XVI) :
<< J’allais déjà sur ma dixième année et je sentais cruellement que je n’étais qu’un raté. Je n’étais pas Yacha Heifetz, je n’étais pas ambassadeur, je n’étais pas d’oreille, pas de voix, et, par-dessus le marché, j’allais mourir bêtement, sans avoir eu le moindre succès féminin et sans même être devenu Français. Encore aujourd’hui, je frémis à l’idée que j’aurais pu mourir à cette époque, sans avoir gagné le championnat de ping-pong de Nice, en 1932. >>
PS : cette histoire de championnat de ping-pong de 1932 revient pas moins de sept fois dans le livre, ça donne envie de se lancer dans une recherche dans les vieux journaux numérisés de Gallica pour voir si l’anecdote est véridique, ce qui serait encore plus amusant.
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