D'un livre à l'autre

Le 8 janvier 2020

La Lulu avait été attelée. Pourtant, on n’était pas mercredi, jour du marché hebdomadaire de Neussargues où mon père a l’habitude de déambuler dans les rues du village avec son poney bai, et quelques gosses ravis de faire un tour de carriole. Il a d’ailleurs ses habitués, et la Lulu ses fans. C’était le premier dimanche de décembre, mais c’était quand même le marché, un marché de Noël, certes un peu précoce à plus de trois semaines de la bûche au chocolat.

On avait flâné devant l’entrée de la salle polyvalente, où s’était opportunément installé un vendeur de pommes fameuses, venu du Limousin. Puis on était entré. Je n’ai pas reconnu les lieux, entièrement rénovés depuis l’époque où je venais y jouer deux fois par semaine au ping pong avec Alain, Dany, Olivier, Max, Patrice et les autres licenciés de l’association sportive locale. Ce bâtiment avait été édifié dans les années 80 quand, dans un beau mouvement d’ensemble, la quasi totalité des petites municipalités rurales de France avaient décidé de construire leurs propres salles polyvalentes, quelques années après avoir succombé à la mode du terrain de tennis communal, aujourd’hui déserté. Je connaissais chaque centimètre carré de cette salle car, quand on joue au ping pong, il faut se baisser pour ramasser les balles. Là, à quelques décimètres des limites physiques de la pièce, rien de tel pour vous faire connaître chaque angle, vous méfier de chaque interstice, chaque poutre. Mais aussi découvrir les matériaux utilisés : ceux qui rebondissent excessivement, le carrelage de l’entrée ; ceux qui sont neutres, le parquet ; ou ceux qui amortissent la balle dans un bruit étouffé comme le faux-plafond en mousse…

On est passé devant l’étal de l’artisan-fromager, qui avait à peu près le même âge que moi, on a devisé sur le fait qu’on ait pu être au collège ensemble, mais non, il en était parti juste avant mon arrivée. Et puis, j’ai retrouvé Roger, un véritable ancien camarade de classe de Notre Dame des Oliviers. Il m’a présenté sa fille, aussi grande que lui. Coup de vieux pour moi, plus long à atteindre la parentalité. J’ai pris congé, ai de peu évité de succomber à la tentation d’acheter des bières bio artisanales, suis passé devant les magnifiques clichés d’un photographe animalier amateur, ai demandé ce que c’était que cet animal joliment bizarre : une martre. Me suis senti un peu inculte. Un bonjour amical et respectueux à Serge, dont je suis toujours le lecteur admiratif du formidable « Panaches de fumée dans la vallée ». Puis, je suis arrivé devant le stand de livres, tenu par la sympathique libraire de Murat. Obligé de m’arrêter. J’ai commencé à feuilleter quelques ouvrages récents. La commerçante m’a chaleureusement conseillé La Panthère des Neiges de Sylvain Tesson. Superbe, mais déjà lu. Alors, peut-être Par les Routes de Prudhomme, un autre Sylvain ? J’ai ouvert au hasard, lu un paragraphe, ça se lit, j’ai acheté.

Je l’ai terminé hier. C’est l’histoire d’un auto-stoppeur compulsif. Il voyage en faisant de l’auto-stop, non pas pour atteindre une quelconque destination, mais pour le plaisir simple de rencontrer des gens. Cette passion pour l’humain prend peu à peu le pas sur sa vie. Ca parle d’amour, de désir, mais surtout de liberté, et de choix de vies. Un beau roman justement couronné en 2019 du prix Fémina.

Que lire ensuite ? A propos de prix Fémina, ça m’a rappelé que j’avais en stock depuis trois ans, un pavé intitulé « Marguerite Teillard-Chambon : en communion avec Pierre Teilhard de Chardin« . Il s’agit d’un essai très fouillé sur l’écrivaine Marguerite Teillard-Chambon (nom de plume : Claude Aragonnès), auteure de nombreux essais et, justement, membre du comité du prix Fémina. Basé sur de nouvelles sources, l’ouvrage traite aussi abondamment de son cousin dont elle était très proche, Pierre Teilhard de Chardin, ce père jésuite, scientifique, chercheur, paléontologue et philosophe. Teilhard de Chardin est revenu dernièrement à la mode avec son concept de « noosphère » dans lequel certains voient comme une prédiction de l’information ubiquitaire de l’internet.

J’ai trouvé plusieurs raisons de lire cet ouvrage. D’abord, j’avais échangé quelques mails cordiaux avec son auteure Marie-Josèphe Conchon, lorsqu’elle en finalisait la rédaction.
Ensuite, pour des raisons généalogiques. Marguerite Teillard-Chambon a en effet passé une bonne partie de ses étés, parfois avec son cousin, dans sa maison du Chambon à Laveissière (Cantal) au début du XXème siècle, où elle avait tout le calme nécessaire à son travail d’écriture. Elle et sa famille occupaient la maison de maître, tandis que mon arrière-arrière-grand-père, Martin Pissavy (1864-1919), était alors le fermier. C’est dire que mes ancêtres ont côtoyé d’assez près la famille Teillard-Chambon, vieille famille de la noblesse auvergnate.
Il se trouve qu’il y a quelques jours, j’ai en outre découvert que je suis un lointain cousin de la branche Teillard-Chambon aussi bien que celle de Teilhard de Chardin. Il faut remonter en partant de l’épouse de Martin Pissavy, par les femmes, pour arriver en cinq générations à la famille de Tournemire, dont l’une des branches descend vers les Teillard, lignée longtemps basée dans les environs de Murat.

Voici deux excellentes raisons de débuter cette lecture que j’ai injustement différée. J’ai commencé hier, et je suis déjà ravi de ce que j’y ai trouvé. Je ne peux que la conseiller, bien sûr aux passionnés de littérature, de philosophie et de Teilhard de Chardin en particulier. Mais aussi aux généalogistes qui s’intéressent à cette branche de la noblesse auvergnate.

Ces dernières années, depuis que j’avais eu connaissance de cette histoire, et du passage de mes ancêtres au Chambon pendant quelques décennies, lorsque j’empruntais la nationale 122 qui relie Neussargues à Aurillac, juste avant d’arriver à Laveissière, je jetais toujours un coup d’oeil sur la gauche de la route. Au bout d’un chemin bordé d’arbres, j’apercevais Le Chambon, constitué de deux maisons, une vaste et belle maison de maître du XIXème, toute en pierres de taille , celle des Teillard-Chambon, à côté de celle plus modeste qui fût la demeure de mon ancêtre. Malheureusement, la maison de maître a un jour disparu. Evaporée, volatilisée, éclipsée d’un coup de baguette magique. Je n’en crus pas mes yeux. On avait donc rasé cette maison ? A-t-on décidé de la déconstruire pour en réutiliser les pierres ? Si c’est le cas, j’espère que des architectes doués s’en serviront pour ériger une belle demeure. Car il y a quelques exemples de vieilles granges qu’on a rasées pour construire à grand frais des bunkers monumentaux, monstrueusement laids. Certains fortunés n’ont aucun goût, et certains esthètes n’ont pas d’argent, le monde est absurde.

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