Soyons acteurs plutôt que consommateurs

Le 14 février 2019

J’ai reçu mon premier ordinateur à l’âge de 13 ans. Un Amstrad CPC 6128 m’attendait sous le sapin de Noël 86. C’est sans doute le plus beau cadeau que j’aie jamais reçu, je m’en rappelle comme si c’était hier. Cet Amstrad était livré avec une contrainte d’utilisation imposée par mes parents : que je ne fasse pas que jouer avec. Assez rapidement, je me suis intéressé à ce que je pouvais en faire d’utile. C’était d’autant plus facile qu’existait une presse spécialisée, des fanzines, et des serveurs minitel comme R-TEL, mettant en relation des passionnés d’informatique. Tout cet environnement était en quelques sortes mon Homebrew Computer Club*.

A l’époque, l’informatique était le fait d’une minorité de passionnés tandis qu’aujourd’hui le numérique est partout. Mais, il n’y a pas forcément beaucoup plus d’acteurs qu’avant, il y a surtout beaucoup plus de consommateurs, des gens qui sont des utilisateurs passifs de dispositifs logiciels ou matériels qu’on a conçus pour eux. Un peu comme les joueurs de consoles de jeux pour lesquels nous n’avions pas beaucoup d’estime à l’époque, nous qui, en plus de jouer, nous intéressions à la manière dont nous pouvions nous emparer des pouvoirs de la machine.

Aujourd’hui, les smartphones, les tablettes et les réseaux sociaux sont l’équivalent des consoles de jeux des années 80. Un iPhone ou une Galaxy Tab sont des objets de communication et surtout de consommation. Pas des objets de production. Ils nous donnent l’illusion de l’action tandis que nous sommes le plus souvent dans la passivité et la distraction.
Connaissez-vous quelqu’un qui ait codé un programme conséquent avec une tablette sans clavier ? Ecrit un livre, monté une vidéo de qualité professionnelle, ou composé une musique complexe avec un smartphone ? Modélisé un objet en 3D, construit un prévisionnel, ou élaboré les plans d’un bâtiment entre son pouce et son index ?
Ce sont des appareils pensés pour qu’on consomme du contenu : on lit des textes courts, on « chat », on « like », on « tweete », on écoute de la musique… Mais on ne fait rien de vraiment profond. Si vous voulez vraiment être acteur du numérique, il vous faut toujours un ordinateur. Personne ne va changer le monde avec son smartphone. Personne n’a d’action productive sur un réseau social. De même que personne n’a jamais rien fait d’important avec une console de jeux.

Ce n’est pas inutile de le préciser dans un monde de distractions, assez égalitariste, où tout se vaut. On n’a jamais vu autant de « geeks » ou de « hackers », puisqu’il suffit aujourd’hui d’être guère plus qu’un utilisateur de Snapchat ou de Facebook pour être affublé de ces qualificatifs.

Aujourd’hui je suis parent, et je cherche à réduire le plus possible les temps de consommation passive de ma fille de 9 ans. Le temps passé devant la télé est restreint, le temps passé sur la tablette de maman encore plus, et proches de zéro dans la semaine. Pas de jeu vidéo, sauf très exceptionnellement quelques parties de Mario Kart en famille sur de vieilles DS, vestiges de mon époque jeuxvideo.com. Ma fille n’a pas de smartphone et n’en aura pas avant des années. Pas de réseaux sociaux non plus avant longtemps, cela va de soit. Au contraire, j’essaie d’encourager au maximum la lecture (de livres papier), qui favorise à la fois l’apprentissage, mais aussi une notion devenue exotique ou anachronique : la capacité de concentration. Combien de jeunes gens sont aujourd’hui capables de lire un livre de 300 pages ? « Je ne lis pas » me répondait récemment un jeune entrepreneur à qui je conseillais une lecture inspirante.

Pour ce qui me concerne, ma tablette, vieille de 6 ans, prend la poussière dans un tiroir, mon smartphone me sert essentiellement à téléphoner et consulter mes emails, et depuis ma lecture de Deep Work, j’ai quasiment tiré un trait sur les réseaux sociaux.

* Le Homebrew Computer Club était un club d’informatique de la Silicon Valley à la fin des années 70. Des passionnés d’informatique s’y retrouvaient, dont Steve Jobs et Steve Wozniak, les fondateurs d’Apple.

Commentaires

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  1. JEROME

    le 12 septembre 2019

    Je pensais que tu avais eu un 464 avant le 6128. Pour ma part, le mien est toujours là avec les démos de Lightman sur disquette.

  2. lightman

    le 26 septembre 2019

    Jérôme> Ah, tu as toujours été conservateur. Je parie que tu as méticuleusement conservé tous tes magazines, dont il ne fallait surtout par corner les coins, héhé !
    Je n’ai malheureusement plus mon CPC, mais mon Amiga est toujours dans son emballage d’origine avec toutes ses disquettes ! D’ailleurs, je me demandais quoi faire avec ces vieilleries. Dans la mesure où ils sont trop vieux pour servir comme calculateur, peut-être qu’il faudrait envisager une oeuvre d’art, une sorte de monumentale compression de César, avec des centaines d’Amstrad CPC, d’Atari ST, d’Amiga, d’Apple II, de Spectrum, de Commodore 64, de TO7-70 et de MO5, à la gloire de la micro-informatique des années 80 !

  3. Trabet Xavier

    le 30 janvier 2020

    Je partage complètement cette réflexion et étant enfant j’ai eu mon premier cpc 464 à Noël 85. De la même manière j’ai également composé avec le basic pour faire mes propres jeux ou petits outils en apprenant dans les magazines. J’ai ce même sentiment, qu’avoir fait parti de ce petit de monde, j’étais fier de produire un contenu et d’appendre. Aujourd’hui nous disposons de tellement d’outils à disposition et trop peu semblent s’y intéresser, il y a tellement à faire… Et merci pour ce billet!