Où va l'entrepreneuriat

Le 17 novembre 2021

J’ai investi il y a quelques années dans une start-up lancée par des connaissances, entrepreneurs expérimentés comme moi, et même disons-le sans fausse modestie, beaucoup plus expérimentés que votre serviteur. J’y suis allé par sympathie, avec une somme symbolique, mû par la volonté de partager une nouvelle aventure avec des gens intéressants. Le secteur d’activités de cette entreprise n’a pas d’importance, ça pourrait être n’importe lequel, on est dans le numérique mais pas dans le jeu vidéo.

Peu après son lancement, la start-up a eu du mal à rencontrer son marché comme c’est souvent le cas. Une sorte de réunion de crise a été organisée avec les actionnaires afin de trouver des pistes pour amorcer la pompe. J’avais pris une journée pour être présent sur place pensant partager un moment de convivialité (ce qui ne manquait jamais dans d’autres cercles de business angels que j’ai pu fréquenter). De fait, après avoir été convoqué pour cette réunion, je constatai en arrivant qu’aucune salle de réunion n’avait été réservée dans ce coworking proche des Champs-Elysées. D’ailleurs, à en juger par le retard de l’équipe, nous n’étions pas spécialement attendus. Pour résoudre le problème, le boss rentra dans une salle déjà occupée et mit dehors avec autorité deux jeunes femmes qui étaient là, prétextant qu’il avait lui-même réservé la même salle à la même heure. Elles ont eu beau montrer leur réservation, protester, le mâle alpha insista lourdement et elles finirent par partir. La classe, deux femmes chassées par une dizaine d’hommes. Il y a de quoi devenir féministe. La réunion put enfin avoir lieu, non sans une certaine gêne, évidemment. Le macho n’a pas eu de scrupules, nous oui.
Je tâchai de faire bonne figure, mais je me suis trompé d’endroit. J’ai cru que j’étais dans ces réunions de brainstorming où il faut faire preuve de créativité, et où il ne faut pas s’auto-censurer, au motif qu’il n’y a pas d’idées ridicules. Je ne récoltai que du mépris. Il semblerait que parfois le serial entrepreneur hanté par ses succès passés ait l’échec mauvais. Après moins de deux heures de réunion stérile et froide, tout le monde est rentré chez soi, et moi seul à mon hôtel. Même pas bu un verre ensemble. Ambiance.

Et puis, les années ont passé. Après quelques péripéties, un pivot et un rachat, la start-up a semble-t-il décollé. Et comme les autres actionnaires, j’ai reçu dernièrement un communiqué triomphal annonçant des résultats positifs et même une prochaine distribution de dividendes inespérée. Les emails de félicitations dithyrambiques ne tardèrent pas à affluer à destination des dirigeants. J’ai différé l’envoi du mien.
En annexe du document de présentation, on nous précise que cette start-up qui, sauf accident, dégagera l’année prochaine plusieurs centaines de milliers d’euros de résultat, ne compte à ce jour qu’un seul salarié en France. Elle travaille en revanche avec des équipes au Maghreb et dans les pays de l’Est, et aussi des prestataires (qui eux-mêmes sous-traitent dans des pays à bas coût ?).

C’est donc ça l’avenir de l’entrepreneuriat hexagonal : créer des coquilles vides en France et la valeur ajoutée à l’étranger ? Les fondateurs de cette boîte sont pourtant, pour la plupart, des gens qui ont déjà réussi, parfois de façon éclatante. Quelle est leur motivation aujourd’hui ? Un entrepreneur n’est-il pas aussi citoyen français ? Ne partage-t-il pas une communauté de destin avec ses compatriotes ? Est-ce que ça ne crée par quelques devoirs à leur égard ? La réussite passée ne crée-t-elle pas de surcroit une exigence d’exemplarité ?

A cet instant, un seul sentiment m’étreint dans cette affaire : la honte.

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