Le continent de la douceur

Le 2 octobre 2019

C’est le troisième livre d’Aurélien Bellanger que je lisais, Le Continent de la Douceur, roman géographique et mathématique qui vient de sortir. L’auteur y met en scène l’émergence d’une principauté imaginaire au coeur des Balkans, avec des personnages parfois caricaturaux comme un savoureux philosophe qui ressemble comme deux gouttes d’eau à notre BHL national.
Lire Aurélien Bellanger, c’est accepter de monter dans un train de montagnes russes avec des hauts impressionnants, et quelques bas. Plus exactement, un roman de Bellanger, c’est une partie de jeu vidéo. Mais un jeu vidéo avec un niveau de difficulté mal dosé : on passerait sans transition du mode « rookie », facile et fluide, au mode « insane » totalement injouable. Dans cette sorte de Tetris, le but du jeu est d’empiler des phrases dans votre cerveau. Au début du livre, les pièces s’emboîtent doucement, vous arrivez sans problème à construire des lignes entières, et vous y prenez grand plaisir. L’écriture est belle, l’histoire est prenante, on se sent bien. Et puis, tout d’un coup, cent pages plus tard, le rythme s’accélère brusquement, les pièces tombent du haut de l’écran à toute allure, les phrases sont de plus en plus alambiquées, le vocabulaire abscons, on digresse complètement, et on se demande bien où l’auteur veut nous emmener, au risque que le livre vous tombe des mains : game over.

Comme disait un critique, Bellanger fait des livres ambitieux. Traduisez : pas forcément faciles à lire et parfois un peu chiants, disons le mot. Dans ce livre-ci, je compte une double centaine de pages de considérations philosophico-mathématiques tout à fait dispensables à l’histoire. En dehors de ces passages laborieux, ou peut-être trop ambitieux pour votre humble serviteur – soyons lucides – quel écrivain ! Bellanger a le sens de la formule, certaines phrases sont lumineuses, certaines métaphores sont grandioses. Ses livres nous élèvent !

On dit aussi que Bellanger ressemble à Houellebecq. Sans doute parce qu’il ne cache pas son admiration pour l’auteur des Particules Elémentaires, sur lequel il a d’ailleurs sorti un essai, son premier ouvrage publié. Un journaliste a dit un jour que Bellanger c’est Houellebecq « sans humour, sans sexe et sans mélancolie ». C’est un peu exagéré, je dirais plutôt que Bellanger est un Houellebecq édulcoré. Certaines phrases Bellangères sont drôles, mais en matière humoristique c’est difficile de lutter face à certains passages de Sérotonine, pour ne citer que celui-là, qui m’ont fait hurler de rire. En particulier, la double page dans laquelle l’auteur veut nous convaincre, comme un maquignon, que la jeune moldave est la compagne idéale des agriculteurs occidentaux célibataires. C’est le passage le plus drôle du livre, qui vaut à lui tout seul une saison entière de L’Amour est dans le Pré !

Je crois que je lirai bientôt L’aménagement du Territoire, autre roman de Bellanger, prix de Flore 2014. Le temps que je me remette de celui-ci. Car c’est le genre de bouquins qui se méritent, qui ne se laissent pas apprivoiser facilement, mais qui en valent la peine. Ca me fait penser à la célèbre phrase de feu Jacques Chirac, qu’il sortait de façon répétitive comme un leitmotiv dès qu’il arrivait dans une campagne reculée : « c’est loin mais c’est beau ». Bellanger, c’est loin mais c’est beau.