BD et nostalgie, politique et littérature

Le 4 février 2021

Je viens de terminer les quatrième et cinquième tomes de l’Arabe du Futur, la formidable bande dessinée autobiographique de Riad Sattouf. Toujours aussi passionnante ; dans ces presque 500 pages que je viens d’avaler, l’auteur est venu faire un tour dans mon univers. Ainsi, on voit le jeune Riad feuilleter passionnément un numéro de Tilt, magazine de jeux vidéo des années 80 dont j’étais aussi un lecteur assidu. Quelques pages plus loin, le père de Riad dans un accès de générosité intempestif lui achète un Amiga 500 ; un micro-ordinateur qui m’a fait jouer, programmer, dessiner, écrire, traduire, concevoir, écouter, rêver, vibrer, pirater, apprendre, admirer des démos, pendant quelques milliers d’heures de mon adolescence. De cet Amiga désormais techniquement obsolète, je ne me suis pas débarrassé. Trop douloureux. Il est resté longtemps dans le grenier de mes parents, puis plus ou moins planqué sous un lit pour échapper aux grands ménages de printemps que décrète parfois Myriam. Depuis l’été dernier, je ne lui ai pas encore trouvé de place définitive. Alors il est juste là, posé par terre, à un mètre sur ma gauche, dans son vieux carton « Starter Kit » avec ses quelques jeux d’origine, ses dizaines de disquettes piratées, et son lecteur externe. La couleur de l’emballage a peu à peu disparu, tour à tour rongée par des souris, brûlée par le soleil, attaquée par l’humidité. Dedans, les disquettes sont intactes, soigneusement étiquetées et classées ; le bloc d’alimentation a pris une couleur jaune orangée qui lui confère un look seventies ; un numéro du magazine Amiga News, celui de juin 98, peut-être le tout dernier à être paru si j’en crois l’éditorial qui confine à la nécrologie.

Quelques dizaines de pages plus tard, après la Libye, la Syrie, la Bretagne, les circonstances amènent Riad dans le Cantal : il y vient se cacher avec ses grands-parents pendant quelques semaines dans une maison de campagne située juste « à côté de la ville de Chaudes-Aigues »…
Bref, j’aime encore plus cette BD et le temps va me paraître très long jusqu’à la parution du prochain tome, sur lequel le dessinateur travaille depuis le second confinement. Si tout va bien, il devrait donc être édité cette année. Vivement !

Et puis, j’ai découvert Bruno Le Maire. L’écrivain. Le ministre de l’économie, je le connaissais déjà, et il n’avait jamais réussi à éveiller chez moi de sentiment très favorable. Aussi, lorsque j’ai vu passer une pub Facebook pour L’Ange et la Bête, son dernier livre, j’ai eu deux réactions primaires. D’abord, beurk encore un livre inutile, qui fera un four et qui n’a aucun autre but que de polir l’image d’un futur présidentiable. La seconde : comment un ministre a-t-il pu trouver le temps malgré un agenda sur-saturé, d’écrire un livre de 350 pages en pleine pleine crise covid ? Il n’avait rien de plus utile à faire ?
Et puis, après la réaction épidermique, j’ai remarqué que l’ouvrage était publié dans la très sélective et prestigieuse collection blanche de Gallimard, normalement réservée à des écrivains, des vrais. J’ai alors poussé la curiosité jusqu’à lire les premières pages sur le site de l’éditeur. Et croyez-le ou pas, ça m’a plu. C’est ainsi que je me suis retrouvé à lire et à apprécier ce livre, qui fait montre de véritables qualités littéraires, tout en dévoilant le job de ministre de l’économie et des finances. J’ai aimé les récits de négociations internationales avec Trump ou Merkel ; la défense du made in France ; l’ambitieux projet européen de créer un Airbus des batteries électriques ; les pertinentes références historiques à Louis XIV, Fouquet ou Colbert ; les dessous de la coûteuse mais nécessaire politique de soutien à l’économie en cette période de covid…
J’ai aimé aussi les doutes et les introspections plus personnelles. Je vous laisse avec cet extrait (p.217) qui m’a particulièrement parlé : le rapport au temps, la place de la littérature…

<< Entre quarante et cinquante ans, il m’a semblé que le temps s’accélérait ; je ne parvenais plus à retenir les années, elles filaient entre mes doigts comme du sable. Mes enfants grandissaient. Des amis étaient morts, dont un, Philippe, avant de perdre l’usage de la parole, m’avait recommandé de puiser dans ma mémoire. Sur son lit d’hôpital de la Pitié-Salpétrière, il m’avait dit : « Elle disparaît, ensuite, la mémoire. Elle disparaît et elle ne revient pas. Il reste juste à espérer que les autres la gardent pour toi. Mais si tu n’as rien donné aux autres, qu’est-ce qu’il reste de toi ? Rien. » >>

Commentaires

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  1. arnaud lajarrige

    le 18 février 2021

    Bonjour Sébastien,
    Parle t’il aussi de la réforme de l’ONF et de la fabrication (extraction du Cobalt en République Démocratique du Congo par des enfants) et du devenir des batteries électriques arrivées en fin de vie? Prévoit-il de les envoyer en Chine où elles deviennent de véritables bombes environnementales (villages du cancer chinois)? Sur ce, je te crois sur parole lorsque tu écris qu’il écrit très bien.

  2. lightman

    le 24 février 2021

    L’ONF, non pas vu passer. Concernant les batteries, il s’agit de créer un acteur mondial du secteur, sur le modèle de celui d’Airbus afin de ne pas dépendre des chinois ou des américains. Le livre fait allusion à une première usine qui a vu le jour, je pense que ça fait référence à cette unité de production en Charentes :
    https://www.breezcar.com/actualites/article/airbus-des-batteries-psa-et-total-installent-une-premiere-usine-en-france-0120

    Rien sur le recyclage me semble-t-il, et c’est dommage. En la matière, on peut espérer qu’en ayant la main sur la production, on l’aura aussi sur la fin de vie des batteries, ce qu’on ne peut que subir actuellement. Car si Apple produit des iPhone, c’est à Apple de les recycler. Ce qu’ils ne font pas, et qu’on ne peut guère leur imposer, déjà qu’on a du mal à leur faire payer des impôts en France… A mon avis, produire nous-mêmes les batteries reste la meilleure option. Une fois qu’on sera opérationnels à ce niveau, on pourra choisir de produire de façon éthique, et de recycler les déchets convenablement, tout en imposant cette même pratique pour les concurrents sur nos marchés. Si on ne prend pas part à cette compétition, on ne fera que subir, en continuant à se lamenter sur l’extraction du cobalt en RDC, mais sans avoir les véritables armes pour luter contre. Actuellement, on ne peut qu’essayer d’influencer les consommateurs pour qu’ils fassent pression sur les constructeurs, mais c’est à mon avis une lutte très inégale : les clients d’Apple, de Nike, s’en foutent du travail des enfants et du recyclage. Plus exactement, ça les concerne, mais ne les fait pas changer leur façon de consommer. C’est dramatique mais c’est ainsi. Bref, il vaut mieux lutter contre les pollueurs avec les armes économiques + la législation.