Avec la biographie officielle écrite par Walter Isaacson, voici sans aucun doute le livre qui permet de mieux cerner le personnage complexe qu’était Steve Jobs. « Petite chose » est la traduction française de « Small fry », le récit autobiographique de Lisa Brennan-Jobs, sa première fille, née en 1978, peu de temps après la fondation d’Apple.

Pas de révélations fracassantes dans cet ouvrage, et finalement peu de références au personnage public. En revanche, beaucoup de moments de vie entre le gourou de Cupertino, et sa fille non désirée. Ces moments qui furent totalement inexistants dans la prime enfance de Lisa, pour devenir peu à peu plus fréquents à partir de l’adolescence, avant de s’estomper à nouveau. Avec une plume agréable, l’auteure, dont c’est le premier ouvrage, brosse de façon émouvante et profonde, le portrait d’un père absent mais qu’elle admire passionnément, malgré des réactions aussi imprévisibles qu’inappropriées, lui qui a le plus grand mal à rentrer dans le costume de père de famille. Tout est décrit de façon assez neutre, sans jugement, sans aigreur ni volonté de revanche de la fille. Le père a pourtant totalement raté les premières années d’éducation de la petite, la délaissant au point d’obliger son ancienne compagne à enchaîner les petits boulots de survie pendant que lui fait la une des journaux et devient multi-millionnaire lors de l’entrée en bourse d’Apple en 1984.

Au début, Jobs avait totalement renié sa fille, ce qui lui valut une procédure judiciaire et un test ADN qui le confondit. Par la suite, Jobs alternait quelques rares moments complices, avec des phases où il était absent, d’autres où il passait volontiers sa mauvaise humeur sur sa fille, avec un certain mépris et des petites remarques assassines. Jobs était aussi un être complexe car bourré de contradictions. Ainsi avait-il baptisé du nom de « Lisa » le micro-ordinateur précurseur du Macintosh, avant de nier que c’était une référence à sa fille. Cet épisode est finalement assez révélateur de ce sentiment d’amour et de répulsion qu’éprouvait Jobs pour sa fille, tandis qu’à l’opposé, lui était tout pour elle.
Un ouvrage à lire si vous aimez le personnage de Jobs comme moi, ce qui ne m’empêche pas de préférer Windows à MacOS, et mon Galaxy S8 à un iPhone. A lire surtout comme le récit d’une jeune femme intelligente, sensible, qui s’est construite dans la douleur, mais a réussi de façon remarquable malgré l’abandon initial et quelques sales coups de son célèbre père. De l’autre côté, sa très jeune maman artiste-peintre, avait elle aussi bien du mal à gérer la vie de sa fille en plus de la sienne.

J’ai dévoré les 550 pages, les dernières en point d’orgue avec des moments intenses d’intimité entre un Jobs malade et sa fille Lisa. Des retrouvailles tardives émouvantes qui font que je suis sorti de cette lecture pas complètement indemne. Me serais-je comporté comme Jobs si comme lui j’avais eu un enfant non désiré à 23 ans ? Sinon, qu’aurais-je fait ? N’aurais-je pas moi aussi privilégié mon travail si j’avais eu une épopée entrepreneuriale aussi exaltante que la sienne ? Ce livre pose évidemment la question de la place de la famille et du travail, celle de l’amour parental et filial, auxquelles Jobs répond indirectement à la toute fin du livre. Et cette réponse est fort différente de celle qu’il aurait pu faire dans ses jeunes années.