J’essaie de me faire une opinion sur Eric Zemmour. Comme beaucoup, j’ai parfois pu être séduit par ses propos télévisés et son érudition en matières politique et historique. Il faut dire que la profondeur devient très rare à la télévision, où l’invective, les polémiques de cours de récré, et les bavardages Hanounesques monopolisent l’antenne.

Alors, j’ai acheté son dernier livre. Je n’ai jamais compté parmi ses lecteurs avant, mais le fait qu’Albin Michel ait refusé de publier son ouvrage, le poussant à passer par les aléas de l’auto-édition, me l’ont rendu à peu près indispensable. Je ne suis pas le seul, cette péripétie a été la meilleure publicité pour La France n’a pas dit son Dernier Mot, qui domine le classement des ventes de livres en France depuis plusieurs semaines maintenant.

Rédigé dans un style pamphlétaire, c’est moins un programme politique qu’un journal clivant dans lequel Zemmour raconte ses coups de gueule, ses réflexions, ses rencontres au gré de l’actualité. Je pense qu’une grande partie du texte a été rédigée avant même qu’il envisage d’être candidat. Il ne s’adresse d’ailleurs pas vraiment aux français (sauf un peu à la fin dans une conclusion peu mémorable), il aborde finalement assez peu les thèmes régaliens. Zemmour préfère mettre l’accent sur le déclin de la France, sur l’immigration et l’islamisme qui sont ses thèmes de prédilection. Ses points faibles sont sans surprise l’économie (peu ou pas d’idées concrètes malgré un souverainisme revendiqué), et l’écologie (un grand rien assumé).
Je n’ai pas été choqué que Zemmour parle de guerre civile entre la société française et les islamistes qui veulent détruire notre mode de vie. Dans le livre Autodafés paru ce mois-ci, Michel Onfray dit à peu près la même chose. De même, dans Lettre d’un hussard de la République écrit au printemps par un prof de philo de Trappes, Didier Lemaire, qui vit sous protection policière, on retrouve cette expression effrayante de « guerre civile ». L’expression est impressionnante mais rend compte de la gravité de la situation dans certaines enclaves du territoire français.

Ce qui me gêne plus chez Zemmour, ce n’est donc pas ce rejet de l’islam, religion qu’il considère comme fondamentalement violente, et des islamistes. Je n’ai pas décelé d’opposition vis à vis des musulmans du simple fait de leur religion (ce qui serait un délit). Chacun a le droit de penser ce qu’il veut, dans le respect de la loi. En revanche, ce qui m’interroge, ce sont les références multiples dans l’ouvrage de Zemmour à des écrivains, politiciens ou des penseurs qui sont la plupart du temps d’extrême droite. Le fait aussi qu’il soit intime avec Jean-Marie Le Pen (ils se font la bise). Ca c’est quand même embêtant.

Zemmour n’a à peu près aucune chance d’être vainqueur de la présidentielle. Vous allez me dire que Trump en 2016 était dans la même configuration, mais les américains n’élisent pas leur président au suffrage universel direct, leur mode de scrutin étant plus générateur de surprises. Même les gauchistes les plus anti-Zemmour ne croient pas en sa victoire, tout en agitant les peurs et allant même, pour certains, jusqu’à comparer le livre du polémiste avec Mein Kampf, démontrant ainsi une inculture historique navrante ainsi qu’une sévère altération du jugement.

Zemmour aura toutefois atteint partiellement son objectif s’il parvient à décentrer le débat présidentiel vers le thème de l’immigration. Et pourquoi pas? Cela obligerait ses adversaires à réfléchir enfin à ce sujet sérieusement et proposer leurs solutions. Cela fait 40 ans qu’on refuse d’en parler (car parler d’immigration c’est forcément être raciste). Il est urgent sur ce thème de redonner la parole au peuple.

En attendant d’avoir une opinion plus définitive sur Eric Zemmour, je me suis plongé dans la lecture de La Communauté, récit publié en 2018 par les journalistes du Monde Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué, qu’on ne peut guère soupçonner de sympathie avec l’extrême droite. Ce texte stupéfiant et agréablement écrit raconte la montée de l’islamisme dans la ville de Trappes. Et cela clora mes lectures sur la radicalisation islamiste, j’ai maintenant besoin de choses plus gaies et plus enthousiasmantes.