Naissance d'une collégienne

Le 4 septembre 2020

On a quitté Aurillac avec une écolière, et on arrive à Aix avec une collégienne. On ne s’en est presque pas rendu compte. La faute au covid qui a amputé de son dernier trimestre le CM2 de notre fille, en la privant des dernières joies de fin d’année avec ses copines : l’émouvant spectacle de chant annuel, et surtout la fête de l’école des Alouettes qui ponctue agréablement le mois de juin et qui est l’occasion pour toute la communauté éducative, enseignants, parents, enfants, de se retrouver lors d’une soirée conviviale. Privée aussi des délices des jours de classe du mois de juillet où la tension retombe et où chaque élève comprend doucement que l’année touche à sa fin, où le rapport avec les enseignants devient moins formel comme pour faire sentir aux enfants qu’ils sont en train de devenir des anciens élèves. Cette année, il n’y eut aucune transition, aucune fin, aucune conclusion, pas de coup de sifflet final, pas de drapeau à damier, pas de fête donc pas de souvenirs, pas de convivialité, juste de la peur à dose industrielle instillée par les conférences de presse quotidiennes de nos gouvernants, cravatés mais insipides, pétochards et impréparés.
Tout cela fait que nous aussi parents, avons cru inconsciemment que notre fille était toujours un peu en CM2. On a passé l’été sans complètement réaliser.

L’entrée en 6ème est pourtant un changement assez brutal surtout s’il s’accompagne d’un changement de région et donc d’une perte de repères ; disparition des copines ; changement de climat ; changement de maison ; départ d’une école de 200 élèves et arrivée dans un collège de 1000 « jeunes ». C’est le directeur du collège de Jade, qui fut aussi directeur d’un établissement aurillacois qui nous a fait atterrir lors de son discours introductif en expliquant que nos enfants allaient désormais entrer dans l’adolescence et qu’il ne convenait donc plus de les appeler « enfants » mais « jeunes ».

Concrètement pour les parents, avec les ados, au-delà des questions de profs, de matières, se pose un problème de plus en plus aigu, celui des écrans. Si la plupart des camarades de 6ème de Jade ont déjà un téléphone dans le cartable – malgré l’interdiction de s’en servir – on continue à tenir bon. Ni téléphone portable ni console de jeu pour l’instant. J’en suis convaincu depuis longtemps, presque depuis mon départ de jeuxvideo.com, et le livre de Desmurget a ossifié cette conviction dans mon cerveau : les écrans sont extrêmement nuisibles aux études des ados. Et pas qu’un peu.
Les jeunes qui jouent réduisent le temps passé à étudier, à lire, à communiquer, à faire du sport. Et c’est du temps qui ne se récupère pas.
Ca me fait penser à ce jeune de 3ème, lors d’une intervention dans un collège aurillacois, qui m’expliquait qu’il était fan de jeux vidéo – peut-être pensait-il impressionner le fondateur de jeuxvideo.com, qui dans son esprit ne pouvait qu’être un hardcore gamer. Ce jeune me racontait qu’il jouait le week-end avec son grand frère. Il commençait le samedi matin vers 9h, et il jouait sans arrêt jusque vers 3h du matin le dimanche ! Devant mon étonnement, il a tenu à me rassurer : il ne restait pas tout ce temps sur le même jeu, il passait de Fifa à CallOf, puis à GTA. Ouf ! Tout va bien, 18 heures passées à jouer virtuellement au foot, à mitrailler des nazis, à piquer des voitures de flics, écraser les piétons, dealer de la drogue, et pour se détendre, de temps en temps, aller aux putes. Ce n’est pas comme si deux de ces jeux étaient réservés à un public averti : « Déconseillé aux moins de 18 ans » dit la notation PEGI, qui est établie par les éditeurs eux-mêmes : on n’est jamais mieux servi que par soi-même..

Autre exemple dans mon entourage. Je connais deux ados qui travaillent très bien à l’école, certains de leurs camarades disent qu’ils sont surdoués. C’est sûrement un peu vrai. Ils débutent leurs classes de 4ème et de 3ème avec un an d’avance sur l’âge normal. Et devinez quoi : l’un et l’autre sont les seuls de leur classe à ne pas posséder de téléphone portable, l’un d’eux n’a pas de télé non plus.
Tandis que la jeunesse subit le matraquage publicitaire et l’attraction naturelle des écrans, peut-être serait-il d’utilité publique de rappeler avec plus de force que ce sont plutôt les bons élèves qui n’ont pas de téléphone et que ceux qui sont en difficulté en ont tous un.

Jade fait le forcing en ce moment pour qu’on lui achète la Nintendo. On a dit non pour l’instant, mais elle insiste. Au point que l’autre jour, j’arrive au salon et je vois sa dernière création artistique : une véritable console Switch confectionnée avec de vieux cartons Amazon. Elle l’a peinte aux feutres avec l’écran illustré d’une scène de Mario Kart et les manettes latérales bleu et rouge, détachables comme les vraies. Le tout à l’échelle ! Comme quoi, l’absence d’écran attise la créativité, et sans doute aussi la persévérance.

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