Stevenson, Tesson et Barbereau

Le 5 avril 2020

C’est marrant d’observer les filiations entre écrivains. La plupart ne se cachent pas d’évoquer les auteurs qui les ont précédés et influencés. A plusieurs reprises Sylvain Tesson, l’écrivain aventurier, auteur de la Panthère des Neiges qui lui valut le Renaudot l’année dernière, a évoqué L’Île au Trésor comme son roman jeunesse préféré, avec en fond probablement une grande admiration pour Robert-Louis Stevenson, son auteur. J’ai lu dernièrement « Sur les Chemins noirs » de Tesson, dans lequel il raconte sa grande randonnée à travers la France, de la Côte d’Azur au Cotentin, et qui fait étape dans le Cantal. Le village de Condat est d’ailleurs décrit de façon peu amène :

« A Condat, un deuil national aurait été déclaré que l’atmosphère n’eût pas été plus lourde. […] Traverser ces villages donnait l’impression de passer la revue des façades en berne. Ce qui n’était pas fermé était à vendre, ce qui était à vendre ne trouvait pas acquéreur. Les monuments aux morts portaient des noms glorieux et il nous semblait que quelques vivants vacants dans les rues auraient pu s’ajouter à la liste. »

Dans ce livre, Tesson évoque encore Stevenson et son roman Kidnapped. Ca m’a rappelé que je n’avais pas encore lu, cet autre ouvrage de Stevenson préconisé par Tesson : « Voyage avec un âne dans les Cévennes », un monument pour tous les randonneurs qui lui doivent le fameux Chemin des Stevenson. En terminant cet après-midi cet ouvrage culte – au moins pour les offices de tourismes des territoires traversés par l’écossais – j’ai pu observer la filiation Stevenson-Tesson : l’inévitable carte avec les étapes en début d’ouvrage, un récit qui fait la part belle à des descriptions ainsi qu’à des anecdotes pittoresques parfois drôles, le respect de la chronologie, et un récit découpé en journées. Tesson est le fils de Stevenson, il partage probablement aussi sa vision du voyage :

« Je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger, d’éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs coupants. »

Après avoir trouvé un des fils de Stevenson, j’ai découvert un des héritiers de Tesson en lisant Yoann Barbereau et le récit de son incroyable aventure. Alors en poste à Irkoutsk en Sibérie, il fut arrêtée par le FSB (le nouveau nom du KGB, les services secrets russes) et accusé du pire. Après avoir connu la prison et la torture russe puis l’hôpital psychiatrique, le français finit par s’évader et revenir clandestinement en France.
Son récit s’intitule « Dans les geôles de Sibérie », clin d’oeil au livre de Sylvain Tesson « Dans les forêts de Sibérie » qui se déroule à peu près au même endroit, c’est à dire sur les bords du lac Baïkal près d’Irkoutsk, où l’aventurier a vécu quelques mois dans une cabane coupé du monde, accompagné seulement de quelques décalitres de vodka et de bonne littérature. Et d’ailleurs, le livre de Barbereau commence étrangement par une scène arrosée dans une cabane sur les bords gelés du lac Baïkal. Bel hommage à Tesson. Aucun critique n’a fait le rapprochement. Il faut dire que je n’ai pas eu beaucoup à chercher dans ma mémoire puisqu’il ne s’était pas écoulé plus de deux mois entre ma lecture des deux ouvrages.

Je continuerai prochainement mes découvertes de cette grande famille des écrivains voyageurs, dont Tesson et Stevenson sont des membres éminents. Barbereau quant à lui en était à son coup d’essai, mais vu sa remarquable qualité, il serait dommage d’en rester là.