Sécheresse, Coulon, Pagis, Louis

Le 20 avril 2021

C’est dingue ça, je reviens dans le Cantal quelques jours, et c’est à croire que le pays est devenu aride. La terre est sèche, l’herbe rase est tristement terne, les cours d’eau sont presque à leur étiage. Et on est fin avril. D’habitude à pareille époque, de longues semaines de pluie s’abattent sans interruption sur les monts du Cantal. J’ai fait semer de la pelouse à Toulousette il y a une dizaine de jours, assez confiant, et là paf une sécheresse inopinée ! Tout fout l’camp ma pauvre dame, les averses en Provence et l’aridité dans le Massif Central, en pleine saison des pluies, on n’a jamais vu ça. On va bientôt pouvoir rendre constructibles la plaine de Yolet, les berges de la Cère ou de l’Alagnon réputées submersibles, sans crainte des caprices climatiques.

De météo, il est assez peu question dans « Les Grandes Villes n’existent pas », de la jeune et talentueuse romancière puydomoise Cécile Coulon. Elle y raconte sa prime jeunesse dans son village auvergnat natal, en se focalisant sur les relations entre les habitants, notamment celles qui sont induites par la géographie. C’est assez probant. Le début du livre est remarquable. La plume est comme toujours bien jolie et posée avec émotion. J’ai tendance à me transposer dans ce récit, puisque j’ai connu à peu près les mêmes conditions, à quelques années d’intervalle. Je me demandais toutefois si je saurais décrire comme l’auteure ces tranches de vie de village, moi qui ai passé à partir de 13 ans la plus grande partie de mon temps derrière un écran… Certains passages de ce récit m’ont fait penser à quelques belles pages de Philippe Delerm dans « Journal d’un Homme Heureux« , un de ses meilleurs textes. Lisez Cécile Coulon, et si vous voulez un aperçu, découvrez ses chroniques dans l’édition dominicale du journal La Montagne.

Après, j’ai piqué un bouquin dans la bibliothèque de ma mère, et j’ai lu « Dans la Salle des Pas Perdus » du cantalien René Pagis, qui pour l’anecdote, partageait avec mon père les bancs d’un lycée sanflorain il y a près d’un demi-siècle. Alors, je ne suis peut-être pas objectif, mais j’ai trouvé ce bouquin fort intéressant, bien écrit, il m’a enchanté. Il faut dire que la carrière de l’auteur est en elle-même étonnante et admirable : parents agriculteurs, une scolarité écourtée, l’adoption de l’uniforme comme simple gendarme, la montée en grade régulière jusqu’à devenir officier, puis un changement radical vers la quarantaine pour embrasser une carrière de magistrat, juge, juge des enfants, et enfin procureur. Le tout bien souvent dans le Massif Central, et le Cantal. Serait-il possible de connaître une telle ascension à notre époque qui laisse trop peu de place aux autodidactes ? C’est en tout cas un grand plaisir de lire les nombreuses anecdotes, les plus croustillantes, comme les plus dramatiques. Ce récit de vie professionnelle m’a rappelé dans son essence le méconnu mais superbe bouquin de cet autre cantalien, le regretté Docteur Jarry (Lou Medici).

Et puis ces derniers temps, j’ai découvert un autre jeune auteur, Edouard Louis, né en 1992. C’est là que j’ai réalisé que les nouveaux écrivains ont désormais l’âge d’être mes enfants – c’est presque aussi le cas de Cécile Coulon, millésime 90. C’est une prise de conscience banale, mais désagréable, je comprends pourquoi des types comme Fabrice Lucchini ne jurent que par les auteurs morts, ça rassure…
Ce qui m’intéresse chez Edouard Louis, c’est d’abord sa capacité à captiver un auditoire, avec une voix très douce, posée, lumineuse, et un discours où chaque mot est pesé. De la même façon, l’écrivain sait captiver son lecteur avec le même goût du minimalisme.
J’ai aimé son intervention à La Grande Librairie. Il présentait son dernier livre « Combats et Métamorphoses d’une Femme « , dans lequel il décrit la vie de sa mère qui a subi les coups et les injures de ses deux premiers maris, avant d’entamer une métamorphose, presque une résurrection. Dans l’émission de François Busnel, plusieurs intervenants ont fait l’éloge du premier roman d’Edouard Louis, « En Finir avec Eddy Bellegueule », très gros succès de librairie, traduit en 30 langues. J’ai donc lu les deux, et j’ai été scotché. En fait de romans, il s’agit d’un même récit authentique de la vie d’Edouard Louis, connu sur son acte de naissance comme « Eddy Bellegueule ». Il raconte sa jeunesse jusqu’à l’adolescence, dans une famille picarde pauvre mais aussi raciste, homophobe, violente et alcoolique. Et dans toute cette misère sociale et cette noirceur, un petit bonhomme grandit, il est la risée de la cour de recrée à cause de son air efféminé, et son peu de goût pour les jeux de garçons. Sauf qu’Eddy a de grandes capacités intellectuelles, et faisant mentir toutes les statistiques sociologiques, il réussit à s’extraire de sa condition, il intègre un lycée, se met au théâtre, et il devient doué au point de réussir Normale Sup. C’est l’histoire de ce garçon homosexuel rejeté par sa famille et qui devient un transfuge de classe. Ces deux livres sont incroyablement émouvants, le premier est sidérant par les scènes terribles que l’auteur a vécues… L’écriture est minimaliste, très précise, chaque mot est important, et il alterne les scènes de langage vulgaire avec le vocabulaire plus châtié de l’auteur. J’ai adoré Eddy Bellegueule, ainsi que le livre sur sa mère. J’ai encore dans ma pile à lire le troisième volet de cette sorte de tétralogie : « Qui a tué mon Père »… Si vous voulez lire quelque chose qui vous remue, vous y êtes. Si vous êtes allergique à cet auteur, alors lisez la chronique très drôle d’un Frédéric Beigbeder très en forme, parue jeudi dernier dans les pages littéraires du Figaro.

Commentaires

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  1. lajarrige

    le 24 avril 2021

    Bonjour Sébastien, merci pour ces articles toujours intéressants.
    Je te conseille (si tu ne l’as pas déjà lu) le livre d’Antoine Sylvère dont le titre est « Toinou » un autre parcours de vie difficilement reproductible à notre médiocre époque (avis personnel n’engageant son auteur).
    A un de ces jour, par écran interposé, dans les monts cantaliens ou bien lors d’un passage vers Montpellier.

  2. lightman

    le 24 avril 2021

    Merci Arnaud, je note ta suggestion, je ne connaissais pas « Toinou », mais après avoir lu la bio impressionante de l’auteur, ça devrait me plaire ! A bientôt !