On cartonne

Le 22 juin 2020

Plus se rapproche l’échéance translative, et plus on cartonne. Au sens premier, on remplit des cartons, car au figuré, on ne peut pas dire qu’on connaisse un succès grandissant au fil des jours. Après un dépôt-don chez Emmaüs et avant une transaction discountée sur LeBonCoin, il reste le temps de quelques lectures, menues et légères en guise de décrassage après le marathon du tome 1 de La Guerre et la Paix.

Actuellement, les Mémoires d’un jeune homme dérangé, le tout premier roman de Frédéric Beigbeder, le plus fêtard des écrivains. Ou le plus écrivain de tous les fêtards. Ca marche dans les deux sens, et dans les deux cas, c’est un oxymore. Car on peut bien dire d’un écrivain qu’il est solitaire, célèbre, talentueux, compulsif, alcoolique souvent, maudit même, ou tout ce que vous voudrez. Mais un écrivain-fêtard, avouez que c’est quand même assez contradictoire. Les livres de Beigbeder sont si brefs qu’on dirait qu’ils ont été écrits pour être lus en quelques heures, l’espace d’une nuit en boîte. La soirée est ici l’unité de temps. Les fêtes de Beigbeder semblent nourrir son envie d’écrire, elles lui donnent sa matière première, et ensuite son labeur d’écrivain dilettante nourrit une nouvelle envie de fête, dans une spirale créative éthylique et joyeuse. Le tout agrémenté d’un sens de l’humour certain. En tous cas, si je n’avais pas été bluffé par son dernier – L’Homme qui pleure de rire – le tout premier roman en revanche est plus convaincant. Il offre même quelques paragraphes qui tutoient le génie créatif et une comique désillusion Houellebecquienne. Extrait p.41 :

Victoire s’était installée chez moi après un an de bons et loyaux services et je m’étais habitué à sa présence. Nous formions ce qu’on appelle un jeune couple dynamique, c’est-à-dire que nos deux égoïsmes se complétaient et que notre paresse sentimentale nous rapprochait considérablement.

Avant Beigbeder, j’avais retrouvé Pennac – La Loi du Rêveur. L’histoire n’avait pas retenu mon attention lors d’un passage assez peu inspiré à la Grande Librairie, mais l’autre jour voyant le livre en rayon, je n’ai pu me retenir de sortir la carte bancaire. Sans surprise, je n’ai pas été furieusement passionné par le propos, mais lire Pennac c’est toujours un plaisir. Il pourrait nous parler du traitement de la pathologie hémorroïdaire, ou bien de la recette de la daube de poulpe au vin rouge, on serait encore quelques milliers à le lire. C’est ça un auteur à succès. Les gens achètent le nom de l’auteur, et plus un livre. Ils cherchent à renouveler un plaisir de lecture passé et enfoui dans leur mémoire. Ils s’offrent un voyage tarifé pour un orgasme littéraire. En fait, les auteurs de best-sellers sont les prostitués du cortex cérébral.

Encore avant, lecture d’un essai tout récent de Philippe de Villiers, Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde. Après un confinement mal vécu – comme tout le monde – ce petit livre-vengeance très réjouissant se lit d’une traite. La plume est acerbe, alerte, très imagée comme j’aime. Trois courts extraits vaudront mieux qu’un résumé indigent – un vieux complexe à cause d’une note médiocre au résumé du bac Français.

p.30 : Les élites hypermobiles, morgueuses, qui se jouent des frontières – elles sentent le kérosène et les petits fours – contre les peuples, mutilés, qui hurlent leur désarroi.

p.98 : Aujourd’hui, les catéchumènes du souverainisme se font tonsurer, les yeux mi-clos, dans un silence cathédral qui appelle à la génuflexion oblique du dévot pressé.

p.137 L’Histoire retiendra que le chef de l’état a mis fin à ses fonctions le 12 mars 2020, quand il a remis les pleins-pouvoirs au maréchal Delfraissy.

Lisez et faites lire. Des essais, des romans ou des BD. Des classiques, de la poésie, ou des polars. Delerm, Montaigne ou Houellebecq, Tolstoï, Stevenson, Tesson… Lisez, il en restera toujours quelque chose.