Ma vie de retraité

Le 27 novembre 2019

En sortant les poubelles, je viens de réaliser que j’avais désormais une vie typique de retraité. Pas n’importe quel retraité. Je ne ressemble pas au fringuant sexagénaire moderne, en pleine forme physique, en transit entre un voyage en Patagonie et une injection de Botox, qui pratique le CrossFit et la boxe thaï quatre fois par semaine, malgré un agenda saturé en engagements associatifs.
Non, moi je suis plutôt sur un modèle de retraité classique, qui à la suite d’une vie active bien remplie aspirerait à une existence douce et calme, paisible, sereine, que rien d’autres ne viendrait troubler que le générique de fin des Chiffres et des Lettres, ou la découverte d’un numéro hors-série du magazine Notre Temps.

En ce moment, ma vie est réglée comme du papier à musique. Le matin, je me lève aux aurores, effectue ma petite routine, puis j’emmène Jade à l’école. J’achète une baguette tradition de 60cm et 250g, parce que c’est la véritable baguette artisanale qui fait appel au savoir-faire du boulanger. Avec ça, si je suis de bonne humeur et si j’estime qu’elle l’a mérité, je prends un pain au chocolat pour Myriam. Je retourne à la maison. Un petit tour sur ma boîte mail si je suis déprimé, sinon un peu de lecture supposée intelligente. Si je veux lire mes cinquante livres par an, il faut bien que je m’astreigne à un minimum de discipline. A 10 heures, c’est l’heure de la tisane détox, pas trop chaude et avec un peu de miel de Neussargues. Coup d’oeil sur la météo pour voir si un footing tranquille est envisageable. En ce mois de novembre supra-humide, c’est toujours non. Je me demande d’ailleurs pourquoi je me pose encore la question. Pendant l’hiver auvergnat qui s’étend de novembre à juin, les coureurs du cru auraient avantage à migrer dans le sud comme les hirondelles. Moi je vais bien migrer, mais ce sera en été et pour de bon.

Vers 11h, je guette le facteur qui est d’ailleurs une factrice. Au cas où elle apporterait miraculeusement un désordre salvateur dans cette journée impeccablement millimétrée. Parfois, elle ne passe pas. Ce n’est pas par déficience mentale comme le disait la chansonnette de mon enfance, aujourd’hui censurée, politiquement correct oblige. En 2019, le facteur n’est plus « trop bête », il est juste « malade ». C’est dommage parce que du coup, ça ne rime plus. Mais bon.
C’est bizarre mon histoire de factrice. Soit elle ne passe pas du tout, mais quand elle passe, alors elle benne dans ma boîte aux lettres une tonne de courriers et autres paperasses publicitaires. Je la soupçonne de stocker mes lettres, et de ne venir que deux ou trois fois par semaine. Si elle fait ça pour tout le monde, c’est un excellent moyen de raccourcir drastiquement sa tournée, afin de terminer plus tôt. Pour la confondre, il faudrait que je m’auto-envoie des lettres, disons un courrier par jour pendant dix jours. Et alors, je noterais les dates de réception, et le temps écoulé depuis l’expédition. Avec un échantillon de dix envois, je devrais pouvoir en déduire le comportement indélicat ou pas de ma factrice. Et si retard il y a eu, je pourrais me venger lors des étrennes. Car c’est bientôt les calendriers !

Je ne vais pas vous détailler le reste de mes journées trépidantes, mais vous concéder un aveu : je m’emmerde. Sévèrement. Il va falloir que je remplisse ce temps avec quelque chose de consistant. Peut-être pourrais-je commencer par vous donner quelques nouvelles plus régulièrement sur ce blog. Ce qui m’obligerait à vivre un peu plus en cette période transitoire, ne serait-ce que pour trouver un sujet d’écriture. J’ai lu une belle interview croisée entre Sylvain Tesson et Amélie Nothomb. L’autrice explique :
« J’écris tous les matins sans exception et il m’arrive en effet de me trouver dans une écriture de pure attente. C’est-à-dire que j’écris sans être sûre qu’il se passe quelque chose. Mais je sais que je dois écrire pour qu’il se passe éventuellement quelque chose. C’est une attente active, en quelque sorte.« 

Il faut que j’expérimente cette écriture d’attente, c’est à dire prendre la plume sans forcément avoir une idée précise en tête. Aurélien Bellanger confesse se livrer aussi à cet exercice d’improvisation lors de la rédaction de ses chroniques radio quotidiennes. Il choisit un sujet de départ et ne sait pas en posant ses mains sur le clavier où l’écriture va l’emmener. C’est un peu ce que j’ai modestement commencé à faire ici. Avec des résultats mitigés : parfois ça peut être assez réussi – quand ça m’amuse, je me dis que ça peut vous distraire – parfois c’est moins bon. Mais on ne peut apprécier l’excellence que si on a auparavant connu la banalité. Même les génies agissent par fulgurances. Il paraît que c’est comme ça qu’on détecte les hauts potentiels en entretien d’embauche : un candidat peut être totalement absent, et l’instant d’après il s’anime, et fait une réponse décalée, aussi inattendue que géniale. Je ne me rappelle pas avoir croisé ce genre de spécimen, mais par contre plein de fois l’opposé : un type banal qui soudain a une fulgurance de connerie qui le disqualifie automatiquement et définitivement pour le poste. Les cons ont donc en commun avec les génies leur patente irrégularité.

Commentaires

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  1. Guillaume

    le 5 décembre 2019

    Bonjour,

    La retraite est un vaste sujet, notamment pour les personnes qui ont été spécialement actives.
    Ces personnes méritent pleinement de se reposer mais est ce vraiment ce à quoi elles aspirent?
    Pour ma part et après de très longues réflexions je me suis trouvé une passion: les jeux de plateaux.
    N’est ce pas justement grâce à ces passions, que reviennent des idées constructives?

    Bien à toi

    Guillaume

  2. lightman

    le 6 décembre 2019

    Les jeux de plateau, c’est effectivement une passion très pertinente, car c’est une excellent moyen pour avoir un maximum d’interactions avec ses semblables. Nous sommes des animaux sociaux, il est inscrit dans nos gênes que nous sommes faits pour communiquer. Les tout petits sont même en danger de mort s’ils n’ont aucun contact affectif.
    Souvent les gens qui s’ennuient souffrent de solitude. Plus qu’une activité pour nous occuper, nous avons sans doute besoin d’échanger, de discuter, de parler, de se comprendre, de rire ensemble, de lire dans d’autres yeux que nous comptons, que nous sommes vivants.