Lérins et ressourcerie

Le 20 mai 2021

Il y a des livres qui sont des passerelles, et dont la rencontre résulte d’un heureux hasard. Il y a eu d’abord cette émission de télé. Echappées Belles, consacrée aux îles méditerranéennes, diffusée au début du mois. On y parlait de l’archipel de Lérins, au large de Cannes. A une demi-heure de bateau de la Croisette, l’île Saint Honorat abrite un monastère cistercien depuis seize siècles. Les images sont splendides, la nature merveilleusement préservée, les moines ont l’air apaisé de ceux qui vivent en harmonie avec eux-mêmes. Dans le silence que leur imposent leurs voeux, ils se consacrent à la prière, ainsi qu’aux travaux de jardinage en permaculture. Loin du bruit, de l’effervescence touristique, du culte de l’apparence pourtant géographiquement voisins, les moines accueillent régulièrement des visiteurs en quête de sens venus passer quelques jours en retrait du monde. C’est d’ailleurs le petit jeu auquel se prête le journaliste que l’on suit dans une expérience qui se révèle assez drôle. Ce reportage m’avait interpellé. Tiens, et si j’allais un jour faire une retraite dans ce monastère. Ca se fait beaucoup, et ce n’est pas uniquement réservé aux croyants fervents.

Avant-hier, Gallimard communique dans une publicité le quatrième de couverture d’un roman qui se déroule justement dans cette abbaye de Lérins. Après avoir feuilleté virtuellement quelques pages, et avoir été convaincu par la lisibilité de l’ouvrage, je suis allé directement acheter un exemplaire à la librairie Goulard sur le Cours Mirabeau. Je l’ai commencé en rentrant et j’ai dû me freiner pour ne pas le terminer d’une traite. Une belle rencontre avec un livre, avec un auteur, Bruno Racine, et aussi avec un lieu magnifique, énigmatique, inspirant. En attendant d’aller sur place, pour quelques heures ou plus.

Ces jours-ci, j’ai aussi appris qu’il existait une ressourcerie à quelques kilomètres de chez moi. Elle sauve les objets de la destruction et leur redonne une seconde vie. Que ce soient des livres, de la vaisselle, des outils, des appareils électro-ménagers… Chacun peut aller déposer ses objets plutôt que de les jeter, ils sont alors nettoyés, réparés, et revendus à bas prix dans la boutique. C’est un très beau projet, vertueux sur le plan environnemental. C’est un projet similaire que l’on voulait porter avec Catapulte sous l’impulsion d’un de nos adhérents qui était un spécialiste national de la question de l’innovation dans le secteur des déchets. C’était son ancien métier et c’était une chance incroyable pour le Cantal d’avoir un tel interlocuteur disposant de compétences et d’un volumineux carnet d’adresses. Nous avions tenté de sensibiliser les élus cantaliens. Je me souviens d’une réunion tenue lors d’une soirée glaciale dans la salle des fêtes de Saint-Martin-Valmeroux devant un parterre d’élus locaux fort sympathiques qui nous avaient regardé un peu comme des extra-terrestres. On avait sollicité les communautés de communes autour d’Aurillac qui avaient, nous avait-on dit, dans les cartons un projet similaire. Hélas, le conservatisme, le manque de vision, les délais de décision interminables, et aussi les processus administratifs kafkaïens nous avaient découragés de poursuivre. Et donc, il n’y a pas de ressourcerie dans le Cantal, et il faudra sans doute encore un bon moment avant qu’il y en ait une qui ait pris sa vitesse de croisière. Alors même que nous représentions une occasion d’accélérer les choses. Tant pis, ce fut une de mes dernières désillusions cantaliennes.
Ici la ressourcerie existe depuis 2014, a créé de l’emploi – douze postes d’après un article de La Provence de 2017. Elle semble tourner à plein régime, et personne ne se pose la question de son intérêt. Ca permet de vérifier l’assertion d’Idriss Aberkane qui dit que toutes les innovations passent par trois stades dans la tête du public. Toute innovation est d’abord vue comme ridicule, puis dangereuse, et enfin comme évidente. Ce qui est évident ici est-il encore perçu comme ridicule dans le Cantal ?