La mer et la terre

Le 18 décembre 2020

C’est l’histoire d’un vieux pêcheur, bredouille depuis près d’un trimestre. Il a la guigne. Un jour, alors qu’il prend la mer une fois de plus, en dépit de sa série d’échecs, il attrape un poisson énorme, six mètres de long, carrément. Il lui faut des jours pour gagner le combat contre ce monstre, l’achever et le remorquer derrière sa barque. Sur le chemin du retour au port, le poisson géant se fait à moitié bouffer par des requins affamés. C’est ballot.

Voilà le résumé de ma dernière lecture. Pas totalement inintéressante mais quand même un peu douloureuse. Je déteste les bouquins où il ne se passe à peu près rien, et où en plus le héros a la vie intérieure d’une palourde.
C’est ma faute, j’ai voulu essayer un bouquin du grand Ernest Hemingway. Parce que quand même, on est normalement là dans la crème des écrivains américains. Grand reporter, correspondant de guerre, Nobel et Pulitzer, romancier mondialement reconnu, excusez du peu.
J’ai choisi un roman court, une prémonition peut-être. En tous cas, je ne vous conseille pas Le Vieil Homme et la Mer – j’entends déjà les protestations outrées derrière les écrans. Mais vous me comprendrez si, comme moi, dans la vraie vie, ça vous assomme comme une soirée Scrabble d’attendre dans le froid pendant des heures en scrutant la surface de l’eau, que vos compères aient pris suffisamment de poisson pour décider de rentrer, ou bien plus probablement qu’ils se soient lassés de ne rien prendre.
Et pourtant, j’aimais bien pêcher la truite en rivière en CE2. Même si je détestais toucher les appâts, surtout les petites bêtes noires attrapées sous les rochers ; Wikipedia me souffle que ce sont des larves d’éphémères. Beurk ! En tous cas, c’était encore plus dégueulasse que les vers de terre qu’il fallait couper pour qu’ils ne dépassent pas trop de l’hameçon. Mais je détestais aussi décrocher les poissons, les rares fois où l’un d’eux avait décidé de se suicider au bout de ma canne. J’avais d’ailleurs développé une belle aptitude à trouver une bonne âme pour accomplir ces sales besognes à ma place. A partir de ces écoeurements de jeunesse, mon dégoût pour la pêche se fit croissant. De toutes façons, vu le nombre déclinant de poissons, on ne pêche plus désormais pour manger. Surtout avec cette mode étonnante du « no kill » – vivement qu’on l’enseigne dans les écoles militaires. La pêche est probablement devenue une activité qui n’est plus guère qu’un refuge de calme et de sérénité pour ceux qui ne se sont pas encore mis à la méditation. Ce qui n’est pas mon cas comme vous le savez.

Hier, j’ai déniché dans une enseigne de la grande distribution une boîte de chicorée Leroux. Il paraît que c’est bon pour les dyspepsies, je l’ai lu sur Doctissimo. Et en plus, ça m’a fait très plaisir d’acheter un morceau de réclame de ma jeunesse. Ca m’a consolé d’une nouvelle mésaventure d’étanchéité qui m’arrive en ce moment. Cette fois à Aurillac.

Alors que la maison est sous compromis de vente, la pompe à chaleur géothermique s’est éteinte après dix ans de services ininterrompus.
Problème de glycol ? Non, pire.
La pompe à chaleur a passé l’arme à gauche ? Non, pire que ça.
Il y a une fuite dans le réseau enterré de géothermie. Et comme, j’aime le challenge, j’ai décidé de faire réparer « quoi qu’il en coûte » comme dirait Manu 1er. Il a d’abord fallu faire passer une entreprise spécialisée dans la détection de fuite qui a injecté du gaz traçant dans les tuyaux comme les chirurgiens esthétiques injectent le botox dans les lèvres des cougars fortunées. Cette semaine, une pelleteuse a creusé le terrain et a trouvé que des fers à béton avaient été plantés dans un tuyau de géothermie il y a dix ans, miraculeusement sans générer de fuite jusqu’à présent. Si vous êtes aurillacois, je tiens à votre disposition le nom de l’entreprise de bras cassés qui a planté des fers à béton de près d’un mètre dans la terre sans s’inquiéter de ce qui pouvait y avoir dessous.
Bref, la fuite a été trouvée. Mais c’était trop simple, et la loi de l’emmerdement maximum a frappé. Vous savez, c’est la fameuse loi de Murphy, bien connue des informaticiens, selon laquelle, entre autres, une tartine retombe toujours côté confiture. La fuite en effet se trouve sous un coin de le terrasse. Pour être en mesure de la réparer, il faut donc démonter les lattes de la terrasse en bois, les lambourdes, les plots, et puis casser la semelle de béton qui avait été coulée pour les arrimer, enfin creuser la terre dessous afin de réparer la fuite. Pour finir, après réparation, reboucher proprement avant de reconstruire patiemment la terrasse.

Et bien vous savez quoi ? J’applique la leçon de Stendhal : SFCDT : Se Foutre Complètement de Tout. J’ai eu un peu de mal au début à prendre sur moi cette affaire de géothermie cantalienne, d’autant que vous savez les problèmes d’étanchéité que je rencontre aussi en Provence. Mais la méditation aide à prendre beaucoup de recul sur les choses non essentielles. Et après tout, une géothermie, c’est du matériel, de l’argent pour réparer, et bientôt plus qu’un souvenir insolite à raconter le soir au coin du feu, quand on en aura marre du Scrabble.