Rien n'a changé ?

Le 12 mai 2020

J’étais en train d’écouter Rien n’a changé, la chanson des Poppy’s, vieille d’un demi-siècle déjà. Dire que ces enfants qui chantaient à tue-tête sont aujourd’hui des papi’s quasi-sexagénaires bedonnants… Ma mère doit toujours avoir le 45 tours quelque part au fond d’un carton dans un coin poussiéreux du grenier familial. C’était une suggestion musicale du « live » du Monde, auquel je jette un oeil de temps à autres. C’est distrayant, et d’un certain niveau. Non pas que les conversations des chatteurs du Monde soient dignes du Collège de France, mais au moins nous épargne-t-on les youtubers débiles, les chroniqueurs putaclics de la télé, les playmates écervelées aux ambitions vénales assumées d’Insta, et les comploteurs-falsificateurs. En somme, un oasis de paix dans un univers de bêtise bankable.

Ce matin, la thématique était : « Pour vous, le déconfinement n’a rien changé ». On est un certain nombre dans ce cas. Rien n’a vraiment changé depuis hier, même après une période de 55 jours d’assignation à résidence. Ce lundi de déconfinement n’aura pas été si différent des autres lundis. Nous sommes toujours à la maison, Jade aussi, les devoirs envoyés par l’école sont les mêmes, toujours peu de contacts avec ses copines, ce qui lui manque tristement. Peu à peu, on a accepté une routine quotidienne, sur la tablette, avec Roblox, un jeu massivement multijoueur pour les enfants et ados. On a été contraints de céder un peu aux écrans, bien obligés pour maintenir un lien social minimum.
La reprise de l’école, c’était de la com. La moitié à peine des instits sont dans leur classe, et une infime minorité d’élèves sont concernés. Blanquer aurait été mieux avisé d’annoncer la reprise de la garderie, mais ç’aurait été trahir ouvertement la promesse de sa majesté Jupiter Ier.

On a quand même pu retrouver une certaine liberté de circulation, le droit de sortir sans être contrôlé par la police. Peu l’ont remarqué, mais ce couvre-feu permanent et la nécessité de porter sur soi un laissez-passer ne s’étaient sans doute pas produits depuis l’occupation. L’occupation, qui était tout l’enjeu du confinement, pour contrer l’ennui omniprésent.

Hier, nouveau footing, le troisième en neuf jours. Une fréquence que je n’avais plus connue depuis deux ans. Le corps tient. J’ai quand même commandé une nouvelle paire d’Asics pour le ménager. A mon âge, mieux vaut être prudent si je veux éviter une reconversion forcée et définitive vers la natation. En tous cas, je ne me souvenais plus combien le sport apaise l’esprit. Si ça continue, je m’inscris au premier semi-marathon organisé dès l’interdiction levée. N’importe lequel fera l’affaire. N’importe où… Mais en fait, non. Le confinement a sévèrement érodé ma réserve de volonté. Je me sens très Houellebecquien ces temps-ci, avec l’énergie d’une limace qui aurait séchée au soleil de Toulousette.

Entre deux jogging, j’ai trouvé la force de commencer La Guerre et la Paix de Tolstoï. Bonne nouvelle : ça me plaît ! J’ai dû m’accrocher au début, devant l’avalanche de noms russes tarabiscotés. Pour m’y retrouver, j’ai rédigé quelques fiches avec les arbres généalogiques des personnages principaux : les Rostov, les Bolkonski, les Droubetskoï, les Bézoukhov, et autres Kouraguine… Je viens d’achever la première partie de 180 pages (10% de l’oeuvre) qui se déroule entièrement lors de réunions de familles de la noblesse russe. Et étonnamment, ce n’est pas barbant. Je n’en reviens pas. Maintenant, place aux choses sérieuses, la plupart des jeunes gens partent à la guerre contre la Grande Armée qui déferle sur l’Europe.

Pour changer, j’ai regardé Contagion, le film de Steven Soderberg avec un Matt Damon replet. Je l’avais déjà visionné bien avant la pandémie actuelle, et il m’avait plu. Là, je l’ai forcément vu d’un oeil nouveau, étant entretemps devenu un véritable expert épidémiologiste, comme la moitié des français. Normal, il n’y a plus de foot pour qu’on exerce nos compétences de sélectionneurs de l’Equipe de France.
Ainsi donc, l’explication du terme « R0 » par la spécialiste de l’OMS – jouée par Marion Cotillard – m’a paru totalement superflue. Dans ce thriller d’anticipation, le virus a un R0 de 2, puis le taux de contagiosité passe à 4 suite à une mutation. Dans la vraie vie, la grippe à un R0 entre 1 et 3, et celui du SARS-CoV2 est estimé à 3. Ce qui veut dire que toute personne touchée en contamine trois autres. C’est beaucoup, mais c’est à relativiser. Raoult a l’autre jour rappelé que le R0 de la rougeole était de 15, elle est donc cinq fois plus contagieuse que notre coronavirus.
Je l’ai eue la rougeole, je devais avoir 3 ou 4 ans. Des boutons partout, m’a-t-on raconté, je ne pouvais plus ouvrir les yeux et craignais la lumière, si bien que je restais seul dans le noir toute la journée. A l’époque, il n’y avait pas encore de vaccin, ou alors n’était-il pas parvenu sur les berges du Lac de Sainte-Anastasie. Une épidémie avait touché tout le village, beaucoup de gens avaient développé la maladie, ce qui était assez classique, et n’avait pas induit d’émeute ni de panique notable. Selon le site de l’OMS*, avant l’apparition du vaccin en 1963, la rougeole provoquait 2,6 millions de morts dans le monde à chaque épidémie. Je vous laisse mesurer les progrès extraordinaires de la médecine contemporaine qui s’est accompagnée d’une hypersensibilisation de la population aux risques sanitaires. On en vient aujourd’hui à confiner la moitié de la planète alors que le risque est incomparablement plus faible qu’une seule année de rougeole dans les années 60… Une maladie bientôt reléguée aux oubliettes de l’histoire des maladies infectieuses, en espérant qu’elle soit vite suivie par le Covid.

*Source : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/measles

Commentaires

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  1. michel Delort

    le 13 mai 2020

    Encore près de 150000 morts de la rougeole dans le monde malgré le vaccin .
    Covid 19 un peu moins de 300000 sans vaccin mais confinement (et gros dégâts collatéraux)…

  2. lightman

    le 13 mai 2020

    C’était peut-être le premier et le dernier confinement de cette ampleur. On ne mesure pas encore la catastrophe économique qui commence, et que le pays va porter comme un boulet pendant de très nombreuses années, alors qu’on aura presque oublié le covid-19. Une fois que nos économistes auront mesuré les dégâts, on aura appris qu’on ne peut plus se permettre de mettre volontairement à genoux un pays pendant 8 semaines.
    Si encore on l’avait fait pour un virus redoutable de type SRAS qui en 2003 tuait 43% des malades de plus de soixante ans. Là, on a confiné pour un virus au taux de mortalité de moins de 1%, et pour de mauvaises raisons. Comme l’ont fait la Corée du Sud, et d’autres pays d’Asie, on aurait pu gérer le SARS-CoV2 sans confinement si on avait eu des masques et des tests en quantité suffisante. L’impréparation de notre pays conjuguée à la bêtise de quelques hauts fonctionnaires sont payées aujourd’hui au prix fort.