Bientôt un prix littéraire décerné par une IA ?

Le 30 novembre 2020

En 2019, j’avais lu La Panthère des neiges, deux mois avant qu’il obtienne le Renaudot. Aujourd’hui, j’apprends que mon roman de chevet du moment, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, vient de rallier 8 jurés sur 10 du prix Goncourt 2020. Je crois que j’ai acquis un don de divination, il faut que je songe à me faire recruter par un éditeur. Remarquez, deviner les prix littéraires n’est pas si difficile. Après tout, il est statistiquement probable que quelqu’un qui bouquine régulièrement des nouveautés, tombe sur des pépites qui sont ensuite couronnées par des prix littéraires. Je ne peux m’empêcher de penser qu’en dépit des centaines de romans paraissant chaque année, il n’y a jamais guère de surprise pour l’attribution des prix les plus prestigieux. Même l’attribution du Renaudot l’année dernière à Sylvain Tesson alors que son livre ne figurait pas dans la sélection des finalistes n’a fait tomber personne de sa chaise. Tous les nominés et a fortiori les lauréats figurent dans une sorte de top 50 implicite qu’on aurait pu établir dès le mois de septembre. On sait bien que les romans de gare, ceux écrits sans talent ou ambition littéraire, de même que les best-sellers de Musso, Lévy, ou même Nothomb n’auront pas le Goncourt – encore que cette dernière ait réussi à accéder à la short-list l’an dernier avec Soif et à deux autres reprises par le passé – ce qui élimine fatalement la grande partie de la production littéraire. Ensuite, dans ce qui reste, peut-être 10% des parutions, il faut rechercher un quinté d’auteurs mis en avant chez chaque grand éditeur. Gallimard, duquel sont issus les deux lauréats précités, a obtenu pas moins de 38 prix Goncourt depuis 1919. Parmi les autres éditeurs figurant régulièrement au palmarès : Flammarion, Grasset, Actes Sud, Seuil, Albin-Michel…

Tout cela est on ne peut plus logique. Mettons-nous à la place des jurés, ils n’ont que quelques mois pour lire et se faire une opinion sur les meilleures productions de la saison. Aucun lecteur ne peut lire plus de quelques dizaines de titres. Il faut donc que quelqu’un opère pour eux une présélection. Cette présélection se fait inévitablement au détriment des petits éditeurs, des auteurs méconnus. C’est un fait tristement avéré : si l’on veut maximiser ses chances d’obtenir le Goncourt, il est tout indiqué de paraître dans la collection blanche de Gallimard plutôt qu’en auto-édition. Et pourtant, ça serait rafraîchissant que le Goncourt soit attribué un jour à un illustre inconnu qui s’auto-édite. Ce serait en tous cas incroyablement égalitaire. Et ce qu’un jury ne peut pas humainement réaliser, une machine pourrait de nos jours l’accomplir.

Pourquoi ne pas créer un prix littéraire attribué par une intelligence artificielle, qui prendrait en compte l’ensemble de la production littéraire, y compris les livres auto-édités, soit au total plusieurs milliers de livres par an ? L’IA pourrait se baser sur un certain nombre de critères comme la richesse du vocabulaire, l’emploi de certains temps ou de certaines tournures de phrases, l’originalité du livre, etc…
Un jury humain pourrait in fine valider les préconisations de la machine, afin d’éviter que certains petits malins produisent des livres spécifiquement pour mettre en joie l’algorithme de la machine.
Mais quel vent d’air frais cela ferait souffler sur un monde de l’édition parfois trop conformiste et éloigné de l’innovation !

Si j’étais PDG d’IBM, ou de Google, ou juste un étudiant en IA un brin facétieux, je crois que je me lancerais là-dedans. Imaginons une machine capable de décerner un prix sur la base des oeuvres littéraires déjà récompensées dans l’histoire, et qui statuerait sur l’ensemble de la production littéraire de l’année écoulée.
Cette initiative susciterait probablement un débat très tranché sur la légitimité des prix littéraires, sur la capacité d’une machine à juger les écrivains humains, sur ce qui fait un bon livre ou au contraire un mauvais… Ce serait passionnant.