L'évolution du tennis mais pas que

Le 13 juin 2021

Les gens sont stressés, de plus en plus. Ca se sent tous les jours, dans la rue, dans les échanges, et plus encore sur les réseaux asociaux. Notre société est pleine de tensions au sortir de cette crise sanitaire. Les politiques ne sont plus seulement moqués ou déconsidérés, ils sont désormais insultés, enfarinés, giflés. La violence banalisée. Des gens de notre entourage qui ne vont pas bien, certains sont devenus bizarres, avec des comportements inadaptés qu’ils n’auraient jamais eu avant les trois confinements. La preuve, s’il en fallait une de plus, que la période actuelle est très particulière.

Hier je suis tombé sur un documentaire étonnant sur les coulisses de Roland Garros 1981, la première et dernière fois qu’une caméra a filmé les coulisses du tournoi français du grand chelem. Les acteurs sont connus, ce sont les légendes du tennis Guillermo Vilas, John Mc Enroe, Jimmy Connors, le tout jeune Yannick Noah qui gagnera deux ans plus tard, et surtout le monstre Bjorn Borg qui remportera cette année-là son sixième open de France, le quatrième de rang. Et dans le tableau féminin, les éternelles rivales qui se retrouvaient toujours en finale : Martina Navratilova et Chris Evert-Loyd. On les voit tous, décontractés, dans les vestiaires, à l’entraînement, quand les joueurs parlent entre eux, évaluent leurs chances, sont au massage, soignent leurs blessures, signent des autographes ou posent pour des photos avec des enfants…
Le tennis de 1981 est incroyablement lent comparé au tennis moderne. Il y a beaucoup de lift, peu de frappes sèches, beaucoup de balles coupées y compris pour monter au filet, alors qu’elles sont plus rares aujourd’hui. Les joueurs n’ont pas encore des bras de bûcherons, ils ne subissent pas encore de séances de musculation, n’ingèrent probablement pas de compléments alimentaires, ils n’ont pas de préparateur mental, ils ne se rasent pas sous les aisselles, se soucient très peu de leur image. Ils incarnent le sportif au naturel. Les jeunes femmes ont des jupettes blanches, les garçons sont très virils mais portent des shorts moule-bite blancs. J’en ai eu un comme ça à l’époque, j’avais le même short que Mc Enroe, j’en étais très fier.
Les raquettes sont en bois, sauf Connors qui semble avoir déjà migré vers le métal, avant que tout le monde n’adopte les raquettes en composite avec un tamis agrandi dans les années suivantes.
A la fin du tournoi, les vainqueurs passent à la caisse pour récupérer leurs primes. En espèces ! Les sommes sont payées en francs, en Pascal – les billets de 500 francs pour les plus jeunes.

C’était il y a tout juste quarante ans, un autre temps, qui paraît si loin. On se rend compte que c’est fou comme le monde a pu changer. Mais, si l’on excepte les évolutions technologiques, la mode vestimentaire, il y a une chose qui me frappe : c’est la décontraction des gens. Celle des joueurs évidemment : on peut les approcher, leur parler librement, il n’y a pas de service de sécurité, pas d’attaché de presse, pas de community manager. Une forme d’insouciance règne, de légèreté. Ce sont juste des joueurs de tennis, ils viennent, ils jouent. Le tennis est encore un jeu, ce n’est pas encore tout à fait un business. On voit Nastase et Vilas se chambrer pendant un match. Ici un joueur blague en prenant le public à témoin. Qui fait ça aujourd’hui ? Peut-être même qu’il serait sanctionné par l’arbitre ? On voit des joueurs qui prennent plaisir à jouer, et mis à part le robotique Ivan Lendl et le légendaire Ice Borg, les autres nous gratifient de leurs sourires au cours des matchs, on voit que jouer au tennis c’est leur truc. Ce n’est pas juste leur boulot, c’est une passion, et ils s’éclatent, et nous le montrent. Il y a de la joie sur les courts. Et ça fait du bien de les sentir heureux, le bonheur et la bonne humeur sont contagieux. Même le temps d’un match de tennis, et même par écran interposé.

Les matchs de tennis d’aujourd’hui sont un peu tristes. Le niveau a certes beaucoup monté, mais on s’ennuie. Les joueurs n’éprouvent plus rien, en apparence du moins. Il ne faut pas montrer un signe de faiblesse à l’adversaire, ne pas se déconcentrer, les parties semblent aseptisées, la performance est tellement magnifiée qu’elle en est inhumaine.
Rendez-nous la convivialité, la légèreté, la douceur de l’insouciance, le charme de l’imprévisible, un monde plus simple, plus authentique, moins calculé, moins stressant, la beauté du jeu, l’amateurisme au sens noble du terme.

J’ai cru voir un parallèle entre l’évolution du tennis et l’évolution de nos vies, toujours plus technologiques, plus rapides, plus stressantes. Il paraît que maintenant les raquettes sont connectées, elles enregistrent tous les coups des champions et ensuite vomissent leurs données dans un ordinateur autour duquel s’affairent des spécialistes digitaux chargés d’interpréter le jeu de leur poulain et d’influer sur les prochaines parties. Dans le but ultime de gagner plus de matchs, pas de faire vibrer le spectateur…