JVBook 18 : à Banon

Le 11 juin 2021

Banon fait partie de ces villages qui ont donné leur nom à un fromage. Comme Salers, Laguiole ou Saint-Nectaire. Mais le fromage n’était pas la motivation première de mon déplacement. Le banon est un délicieux fromage de chèvre, ce n’est pas la question.
Dans ce village qui compte moins d’un millier d’habitants, il y a surtout la librairie Le Bleuet. C’est la véritable attraction touristique du lieu. La plus grande librairie indépendante de France en milieu rural, ouverte 365 jours par an. Elle occupe quatre étages et deux maisons mitoyennes dans le vieux village. Vue de l’extérieur, elle a déjà un charme fou avec ses volets bleus et sa pile de livres monumentale à côté de la porte d’entrée. Dedans, c’est le paradis du lecteur. « Un million de livres » s’enflamme le site web officiel, 80.000 répond un article de RFI plus prudent. En entrant sur la gauche, des centaines de volume de La Pléiade, en face les incontournables livres touristiques voisinent avec les auteurs régionaux et la quasi-totalité des oeuvres de Pagnol et Giono. Plus loin, toutes les nouveautés, et une quantité impressionnante de volumes pour chaque auteur, élégamment présentés dans de jolies étagères de menuisier, en bois brut. Un rayon entier pour les biographies. Et beaucoup de variété, avec la présence d’auteurs ou d’éditeurs souvent boudés par les grandes enseignes. Au sous-sol, un espace culturel, actuellement occupé par une exposition de sculptures sur bois, à la tronçonneuse dirait-on.
Les lecteurs font des kilomètres pour venir ici. La zone de chalandise, comme disent les marketeux, s’étend jusqu’à 250 km autour. Les auteurs aussi viennent de loin pour rencontrer leur public dans ce beau village provençal perché à plus de 800m d’altitude. C’est le cas de la cantalienne Marie-Hélène Lafont qui a déjà fait le voyage de Banon, et pour laquelle un lecteur était venu spécialement de Bretagne pour la voir, raconte le gérant.

Certains ouvrages comportent des notes de lecture manuscrites rédigées par les lecteurs travaillant ici. J’aurais pu rester des heures à flâner, mais la raison m’a conduit à me limiter, à choisir un seul livre, j’ai donc acheté l’opuscule Lire ! de Cécile et Bernard Pivot. Il était bien en vue au rayon métalittérature, juste à côté de Bibliothèque de Survie que je suis en train de terminer. Pourquoi chercher plus loin ?

Cette librairie peut susciter un espoir pour la ruralité. En 1990, à l’emplacement du Bleuet, il y avait une modeste papeterie-bazar de 50m². Un repreneur, menuisier de formation, décide de développer la boutique, il construit lui-même les rayonnages, et en quelques années, après agrandissements, le bazar est devenu une cathédrale littéraire de 800m² tout en recoins et en petits escaliers avec des bouquins du sol au plafond. Plus tard, le gérant sera malheureusement un peu atteint de mégalomanie – c’est le lot de beaucoup d’entrepreneurs qui réussissent et finissent par se sentir tout puissants – il lève plus de 4 millions d’euros, construit un entrepôt énorme pour stocker un million d’ouvrages et concurrencer Amazon, et se prend fatalement les pieds dans le tapis. Comme d’autres avant lui. C’est l’avantage des vieux pionniers du net comme moi, assagis et enseignés par les échecs commerciaux de sites culturels ambitieux qui voulaient casser la gueule les gros e-commerçants du domaine et se sont finalement vautrés. Citons avec nostalgie les Alapage, Bol.fr, BlackOrange, Musicbox et beaucoup d’autres que j’oublie ou qui me sont inconnus…

Alors que la chance du Bleuet dans la course internet, c’était justement de rester sur son créneau, de ne pas céder aux sirènes du gigantisme. Mais de prendre des parts de marché à son rythme, en proposant de plus en plus largement les livraisons par le web, en jouant le rôle de l’outsider, le challenger magnifique contre les géants cyniques… Jouer la guerrilla contre les GAFA est plus sage que de leur livrer une bataille rangée dont il est impossible de sortir victorieux.

N’empêche, on se dit que d’autres villages pourraient être boostés par un projet de ce genre…

Pour ce qui est de mon JVBook n°18, je l’ai laissé dans la boîte à livres située sous un porche entre la boulangerie et la boucherie. Celle-ci contenait beaucoup de classiques et d’auteurs de référence – Balzac, Pagnol, Soljenitsyne, Camus, Flaubert, Clavel, Deforges, Djian – elle est sans doute régulièrement visitée par l’association du Vieux Village de Banon qui l’a installée. Bravo pour cette initiative. Quel endroit exceptionnel !

Boîte à livres de Banon