J'ai adoré "J'accuse"

Le 29 novembre 2019

Les filles voulaient aller voir La Reine des Neiges 2 au ciné. Enfin, surtout Jade et sa copine. Leurs mamans ont suivi, parce que me dirent-elles, ça ne les dérange pas. Moi je crois plutôt qu’elles sont fans, mais peinent à l’assumer publiquement. Et puis, elles ont vu que des adultes entraient aussi dans la salle – n’accompagnant pas d’enfant, et ne s’étant pas trompé de séance – ce qui les a totalement décomplexées.

Pour ma part, j’ai été suffisamment traumatisé par le premier volet pour n’avoir aucune envie de voir le second. Le premier, je l’avais subi à la maison, un certain nombre de fois, lors des visionnages compulsifs de ma fille. Si bien qu’après quelques mois, en mettant bout à bout tous les mini-extraits auxquels j’avais été exposé en traversant le salon, j’avais forcément vu le film au moins une fois dans sa totalité. Et je ne vous parle pas de la musique obsédante, à un point que mon cerveau associait alors automatiquement les verbes « libérer » et « délivrer » à la mélodie de Disney. On avait le cartable Reine des Neiges, le livre et le coloriage, la poupée Reine des Neiges, le costume d’Elsa, une peluche d’Olaf, une tête à coiffer, et même une sorte de baguette magique particulièrement sournoise qui jouait à fond le célèbre refrain, paroles françaises comprises. Une vraie torture. Guantánamo à côté, c’était de la gnognotte.
C’est fou. Avec sa Reine des neiges, Disney avait poussé le merchandising à un niveau jamais atteint. Jusqu’à l’écoeurement. Comme après un repas beaucoup trop copieux qu’on aurait ensuite envie de rendre pour s’en trouver instantanément soulagé.

Dans ce contexte, j’ai boycotté Anna, Elsa, Olaf, Sven et les autres, pour aller voir seul J’accuse, le dernier film de Roman Polanski. Malgré la polémique liée au passé sordide du réalisateur, malgré les activistes-procureurs de Facebook, et malgré la tentative méprisable de faire porter une quelconque responsabilité sur les épaules des spectateurs.
J’avais vu la bande-annonce, très attirante. Et surtout je sortais du roman de Jean-Paul Delfino sur Emile Zola, qui faisait largement allusion à l’affaire Dreyfus, le sujet du film.

Dans la salle, seulement sept ou huit cinéphiles pour cette séance de milieu d’après-midi au Cristal. Le film s’ouvre sur une scène marquante, celle de la dégradation du capitaine Alfred Dreyfus. Nous sommes dans la cour d’honneur de l’école militaire de Paris. Le moment est très solennel, devant des centaines de soldats impeccablement rangés, et une foule haineuse et antisémite, le condamné s’avance, déjà humilié, quand soudain :
– Y a pas de son ? Demande une vieille dame
– Ben si ya du son, vous entendez pas les bruits de pas ?
– A peine
S’ensuit une conversation à haute voix entre deux personnes pareillement déficientes auditives, où l’une tente vainement de raconter à l’autre ce qui se passe à l’écran. Je ne sais pas pourquoi, mais le fou rire m’a pris. Deux sourds qui se parlent, c’est toujours drôle, c’est même un classique du comique, presque aussi vieux que les tartes à la crème de Laurel & Hardy.

Mine de rien, cet épisode, qui fort heureusement ne s’est pas éternisé, m’a mis dans de bonnes dispositions pour apprécier le film. J’imagine que mon cerveau avait ainsi été détendu par cette scène imprévue. Comme un téléspectateur avachi devant The Voice, prêt à avaler sa ration publicitaire. Ou comme un steak trop raide frappé par le plat du couteau du boucher.

Je ne vais pas vous résumer le film. Vous trouverez facilement ce genre d’articles, ainsi que la bande-annonce. Je peux juste vous conseiller vivement d’aller voir J’accuse. C’est un film admirable. Certains disent le meilleur de Polanski, ce que je ne saurais confirmer. L’histoire est vraiment très prenante. Jean Dujardin, en officier moustachu et opiniâtre, superbe colonel Picquart, le véritable héros de l’affaire, sans qui Dreyfus aurait continué de moisir sur l’Ile du Diable. Certaines scènes sont attendues, comme la publication du célèbre J’accuse de Zola dans l’Aurore, un monument incontournable du journalisme d’opinion. La rencontre préalable à cette publication l’est moins*, elle est pourtant d’anthologie car réunissant notamment Emile Zola, le colonel Picquart, et un Clémenceau éditorialiste qui aura par la suite le destin glorieux qu’on sait.

J’ai aimé vivre, l’espace du film, dans cette France de la Troisième République, très corsetée, très fière d’elle-même, très antisémite aussi, dans un contexte géopolitique extrêmement tendu avec l’Allemagne, qui a conduit à amplifier cette affaire d’espionnage de faible importance, en une véritable affaire d’état qui aurait pu conduire le pays au bord de la guerre civile.

*cette rencontre est un raccourci du scénariste et n’est pas confirmée historiquement (mise à jour du 04/12/19).

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