Le Royaume des moustiques

Le 1 juillet 2021

Emmanuel Carrère m’a mis une grosse baffe avec Le Royaume, son roman ponctuellement autobiographique sorti en 2014, qui est probablement son chef d’oeuvre. Il nous y raconte son expérience mystique, quand il est devenu catholique pratiquant pendant trois ans, il allait à la messe chaque jour, et chaque jour il lisait et commentait l’évangile de Jean, noircissant pas moins de 18 cahiers d’écoliers. Et puis Carrère a aussi été sollicité pour participer à une nouvelle traduction de l’évangile de Marc épaulé par un exégète. C’est donc en plus du grand écrivain, un vrai connaisseur qui a entrepris ce projet ambitieux : nous emmener sur les traces des évangélistes, et en particulier de Saint Luc et de son acolyte Saint Paul. Le second prêchant sans relâche pour convertir les païens aux croyances de ce qui n’était encore qu’une secte constituée par les disciples de Jésus, tandis que le premier transcrivait ces prêches dans ce qu’on appellera plus tard Les Actes des Apôtres.
A condition d’avoir un minimum de culture chrétienne, ce livre est à mon avis un monument. Sa lecture a produit en moi un sentiment double, comme lorsque je dévore une biographie écrite par Walter Isaacson. A la fois une addiction au récit, on ne peut plus décrocher du livre, et aussi la certitude qu’on lit quelque chose de grand qui nous instruit et nous élève. Et ce roman nous imprègne, s’enfouit dans notre esprit, on croit l’avoir digéré et il resurgit incidemment des jours ou des semaines après, au détour d’une conversation ou d’une pensée.

Je reviens de Camargue. J’aurais pu commencer par là, mais je suis toujours plus confortable avec l’ordre chronologique. En Camargue, on a fait les touristes : soirée équestre animée par de sémillants néo-Gipsy Kings ; balade à cheval (les camarguais sont les habitants, les Camargue sont les chevaux, ne vous trompez pas, ça les vexe, enfin surtout les premiers, les équidés sont moins susceptibles) ; un après-midi de char à voile qui m’a pelé les mains (pas besoin de gants, disait le moniteur qui, lui en portait pourtant) ; sans oublier quelques mémorables chasses aux moustiques qui sont ici redoutables et incroyablement nombreux (j’ai bien essayé de suivre les conseils des spécialistes à savoir assécher les eaux croupies, mais la tâche est d’ampleur en Camargue, comme si Dieu, depuis la création du monde, avait oublié de fermer le robinet).
J’avais quand même emporté deux petits livres très digestes : Lire! de la famille Pivot, Bernard et Cécile, que j’avais acheté à la librairie du Bleuet à Banon ; et puis Premier Amour de Tourgueniev que j’avais échangé dans la boîte à livres de Gardanne. De plaisantes lectures même si l’histoire d’amour comptée par l’auteur russe, quoique originale et pas inintéressante, a pris un indéniable coup de vieux en un siècle et demi.

Et maintenant, après avoir commandé Un Roman Russe, encore d’Emmanuel Carrère dont je suis devenu fan, j’ai commencé une suggestion d’un lecteur de ce blog. Je lis Le Quai de Ouistreham, le livre triple récompensé de Florence Aubenas, qui raconte son expérience de recherche d’emploi dans une région économiquement sinistrée juste après la crise de 2008. Cette dame écrit diablement bien, et présente toujours des enquêtes fouillées qui font honneur à son métier de journaliste… Je crois qu’avec Ariane Chemin, ce sont mes deux journalistes-écrivains préférées.